jeudi 22 février 2024

Les instances

"L'autre monde et les preuves matérielles, les spirites qui se croient utiles à la foi. Et enfin, si le diable est prouvé, Dieu, est-ce que ça le prouve ?" *

La question n'aurait pas déplu à Gainsbourg qui, jusqu'à son dernier souffle et jusqu'en son hôtel de Vézelay où il n'expira pas, mais passa le jour d'avant sans entrer dans la basilique, croyait au diable et pas en Dieu, à mon indignation extrême.

"L'autre monde et les preuves matérielles." "Quelqu'un aurait beau remonter de chez les morts, vous ne le croiriez pas", dit le pauvre Lazare au mauvais riche par la bouche de Jésus. Et Jésus en a fait les frais: Il est ressuscité, mais on ne le croit pas, sauf à ce qu'Il se dise puissance de résurrection.

"Le diable est très à la mode", dit le diable du cauchemar d'yvan Karamazov aux petites marchandes qui lui vendent des fioles pour le guérir de ses rhumatismes et autres infections dues au gel des esprits.

Le diable est un pique-assiette aimable toujours prêt à entamer la conversation si le propriétaire de la conscience délaisse ses angoisses ("Dieu veille sur les angoissés") pour lui donner licence de le divertir.

"On m’a fixé de nier alors que je suis réellement gentil et que je ne suis pas du tout capable de nier." Moi non plus, mais j'ai l'esprit de contradiction à couper au couteau tous les cheveux en quatre jusqu'à les écarteler et les faire tirer par quatre chevaux.

"J’ai beau être ton hallucination, comme dans un cauchemar, dit le diable, je dis des choses originales, des choses qui ne t’étaient jamais venues à l’idée et donc ce n’est pas du tout que je répète tes pensées et malgré ça, je ne suis que ton cauchemar."

Tout de même, il y a quelque chose qui cloche, un télescopage sémantique, si le diable est symbolique. Car le symbole unit et le diable divise. Le symbole est le contraire du diabolos.

Et tout de même, le diable est symbolique. Comme les fantômes, il n'existe pas. Mais ça crée un télescopage sémantique, une distorsion entre le mot et la chose, ça tend leur monde commun alors qu'au terme des recherches de Saussure, l'arbitraire du signe débouche sur les anagrammes, où tout est récapitulé, du sens qu'ont les choses signifiées par les signes arbitraires. #ÉtienneKlein ne cesse d'en faire la démonstration dans ses "Anagrammes renversantes".

Mais le diable est symbolique. Enfer et damnation! Si le diable est symbolique, il cesse d'y avoir coïncidence entre les signes et le sens, et le langage ne cesse de rêver à la coïncidence, mais seul cette distorsion lui est donnée, cette disjonction dans le réel entre le matériel et le néant, dans cette langue des signes intraduisible malgré l'Esprit de Pentecôte, dans cette langue des signe que ce n'est pas le diable qui a embrouillé, langue des signes à qui n'est pas donné le bonheur de la traduction, mais seulement les champs magnétiques et les désordres de la synchronicité.

Le brouillage des langues arrivé dans l'échafaudage de la tour de Babel -bien que les langues soient données avant d'être brouillées -et soient données sans don des langues- déréalise le rêve du langage de coïncider avec le réel comme le fait le Verbe, qui le construit. Le Verbe est l'arbre de vie dans le dos du réel. Il en est la colonne vertébrale.

Le diable est symbolique, dans une réunion malencontreuse qui, par rencontre, pourrait faire croire que Dieu le soit aussi.

Mais Dieu ne peut pas l'être, Dieu ne peut pas être symbolique. Car Dieu me soulève au-dedans de moi pour me faire voir les phénomènes et me donner, non l'illusion, l'énergie d'arrêter les orages et d'apaiser les tempêtes en me faisant obéir du vent.

Dieu a mis le ciel en mon âme et me soulève au-dedans de moi, depuis la zone où je rampe pour penser en croyant que je suis.

Je crois savoir, je crois que je ne sais pas, je sais que je ne crois pas, je ne crois pas que je sais, je ne sais pas si je crois...

L'esprit du panantéisme me souffle de demander à Dieu qui est le dynamisme créateur que monte en moi l'Esprit pour ressembler au Christ qui est puissance de résurrection sans que résurrection soit puissance, sans qu'on doive ne s'emparer de la puissance de sa résurrection que pour guérir les hommes qui mourront guéris.

* Dostoïevski, "les Frères Karamazov",livre XI, "le Diable et le cauchemar d'Yvan Karamazov". 

lundi 29 janvier 2024

INSPIRATION

(poème ancien, 2003)


       

Il y a une inspiration,

on n'y peut rien,

ça va trop vite,

c'est plus fort que nous,

je vous l'accorde,

on devrait écrire à ce rythme-là,

d'autant que la rythmothérapie, ça existe,

mais ça ne guérit pas.

Rien ne guérit d'ailleurs,

on ne guérit de rien

et le rythme du coeur...

Mais il y a une différence

entre le rythme du coeur

et ce rythme-là,

de l'inspiration,

car on n'a pas le coeur...

d'expirer,

de se laisser mourir

ou de rejeter quoi que ce soit,

qui que ce soit,

d'arrêter de se battre.

 

On n'a pas le coeur

mais il y a une différence...

et une inspiration,

mais ça bat trop vite

et on n'y peut rien,

c'est plus fort que nous,

je vous l'accorde,

comme si j'avais du coeur...

Miséricorde...

 

Et grâce au coeur,

je ne veux pas rejeter,

mais je rejette,

car il y a une différence

entre le rythme de mon coeur

et ce rythme-là, d'inspiration.

Il y a deux rythmes en moi :

mon rythme respiratoire

et mon rythme cardiaque.

Mon arythmie est là.

Mon coeur

bat plus vite que l'inspiration.

 

Je préfère écrire au rythme de mon coeur

et penser

que mon âme avance,

est en procession,

que croire

qu'elle est en procès

et que je peux rejeter

quoi que ce soit

ou qui que ce soit.

 

Dieu en a-t-Il le coeur?

On le dit,

mais je ne le crois pas,

je ne veux pas croire en ce Dieu-là.

Mais peut-on choisir le Dieu en Qui l'on croit

du moment qu'il y a un Dieu?

Je n'ai pas le coeur

de croire que Dieu soit méchant,

que philosopher soit apprendre à mourir,

que l'homme soit le seul animal à savoir qu'il va mourir,

que tous les autres n'aient que de bas instincts,

qu'il n'y ait pas de paradis des animaux :

* restons entre hommes,

buvons entre Français

au bistrot du kabyle... *

 

Il y a une expiration,

comme un racisme,

un rejet,

une défécation d'où s'exhale une puanteur,

comme l'idée de race

qui est fétide ;

comme l'air que l'on expire est plus chargé en gaz carbonique

que celui que l'on inspire et qui nous oxygène.

 

Il n'y a pas seulement une défection et un rejet,

il y a une puanteur dans le rejet,

dans la chaîne d'écrasement qui nous incorpore

le brin d'herbe,

dans la chaîne alimentaire qui chasse pour nous

le chevreuil ou la biche.

Il y a une incohérence,

un métabolisme coercitif

qui interdit à l'étoile de se cacher en nous.

Il y a une étoile qui erre

dans l'ère de la raison qui fuit,

qui se méfie de nous

comme l'air qui nous expire après nous avoir inspirés

en ne nous accueillant pas.

 

Quand j'étais enfant

- on revient toujours à son enfance

et à l'enfance comme topos littéraire ou topique spirituelle -

on a voulu me faire croire

que la vie était don et accueil

comme la respiration

pompe en s'époumonant

l'intensité réfractaire.

Mais qu'est-ce qui s'est donné à moi

que je n'aie pas volé

et qu'est-ce que j'ai accueilli

que je n'aie pas rejeté ensuite ?

Au bout de quelle amitié suis-je, ai-je su aller,

de quelle amitié avec de l'air?

 

Facile à dire,

vite dit,

que toutes les amitiés ne sont que du vent,

qu'on compte les amis sur les doigts de la main

et qu'on  contracte les amitiés comme des maladies

au hasard des âmes

qu'on rencontre en passant,

emportées dans le mouvement qui bientôt les éloigne,

passant de nouveau de nous à l'inaccessible,

rendues à l'indistinct

par le courant du fleuve de Vie

qui est Vitesse  :

 

facile à dire,

vite dit,

que les amitiés ne sont que de l'air,

car l'air,

même quand il se déchaîne et fait la bombe en vent,

c'est quand même quelque chose,

un copain de bistrot,

une porte du ciel,

une  vivification,

une imprégnation par la lenteur à couvrir l'ombre

en prenant son temps.

 

Mais le temps qu'on prenne l'air

comme l'air nous prend,

il nous expire

et avant cela c'est nous qui l'avons fait sortir,

pour conclure qu'avec le temps,

on a la gueule de bois,

on n'aime plus,

ou on n'aime pas longtemps ;

que rien ne se donne, tout se détruit, tout se dérobe,

que rien ne se donne et nous n'accueillons rien :

nous cueillons l'air,

le temps de le polluer

et puis nous l'envoyons aérer la terre,

l'oxygéner,

si tant est que la terre s'aère,

s'oxygène,

que l'air existe plus que nous pour elle,

qui n'existons pas,

qui ne nous sentons pas des enfants de la terre,

mais à qui l'on a expliqué le ciel en nous disant

quand nous étions enfants

- on revient toujours à son enfance - :

 

"le ciel, c'est l'air,

regarde au-dessus de toi,

c'est sublime,

Tu verras..."

Moi j'ai regardé

et je n'ai rien vu,

et j'ai vu l'air,

mais pas le ciel.

Le ciel s'est dérobé à moi,

il s'est caché au-dedans de moi

ou dans l'ombre de l'air.

Je ne le reconnais pas,

je ne le regrette pas,

mais y a-t-il quelque chose au-delà de moi,

y a-t-il un ciel au-delà ?

C'est ce que je ne sais pas,

ni s'il me reste du temps,

si je peux prendre l'air, au-dessus,

si je vivrai beaucoup plus que le temps d'une inspiration.

 

Mais à cause de la profondeur,

parce que j'ai l'habitude d'être empli

et parce que j'ai peur du néant

dont je n'ai pas la notion complète,

absolue,

à cause du plein que je suis

ou que je crois être,

j'ai tendance à croire

et n'étant pas suicidaire,

pas du tout,

je continuerai...


Julien WEINZAEPFLEN 

vendredi 10 août 2018

Le pacte des larmes


On dit que la philosophie, ce n’est pas de déverser une coupe pleine de savoir dans une coupe vide d’ignorance, et que l’amour naît d’une blessure infligée par celui qui voulait que l’on tombe amoureux.

 

Dieu est-Il le Vulnérateur ? Sainte Thérèse d’Avila ne laisse planer aucun doute. Dieu est ce roi-Cupidon au sein duquel il faut pécher.

 

Mais comment le Vulnérateur pourrait-il être l’amour en étant la blessure à l’origine de l’amour ? Dieu S’est fait homme pour que l’Amour devienne Sang !

 

Et si l’amour est la rencontre de deux blessures, en versant le sang de l’une dans le sang de l’autre, l’amour est un pacte de sang. Et si les groupes sanguins des deux affinitaires électifs ne sont pas compatibles, le transfusé meurt du transfuge.

 

L’amour est une brèche.

 

Il faut souffrir pour commencer à s’ouvrir. L’expérience est intransmissible. L’empahtie et la compassion ne sont que des analogies de la souffrance méconnue des autres qu’on incorpore à la sienne que l’on n’a que trop embrassée. La compassion trop embrasse, mal étreint.

 

Le chagrin est une crue de lit sans délivrance, comme l’angoisse est une peur sans objet, qui cerne tous les dangers de ce qui pourrait arriver aux autres, ces inconsolateurs du chagrin, dont sont inconsolables tous ceux qu’il a saisis.

 

On ne peut consoler personne, mais on devrait pouvoir accompagner tout le monde.

 

L’amour est le pacte de deux enfances qui ont manqué de tout, et s’unissent pour ne manquer de rien.

 

Les enfants qui s’aiment sont marqués par le chagrin qui embue leurs yeux en regardant le rivage. La mer emportera celui qu’ils se feront en étant scrutée par ceux qui en chercheront la légende, une fois ces orphelins morts.

 

Le sang ne peut pas guérir le sang et deux enfances unies ne peuvent se guérir par l’amour qu’elles échangent.

 

Le sang versé à partir de la blessure peut se changer en larmes. Mais comment les larmes pourraient-eles guérir des pleurs ?

 

La connaissance remplit une coupe d’ignorance d’une substance plasmatiquement grasse de contenu organique. L’amour festif est plastique. Mais l’amour issu de la blessure remplit un cœur qui pleure des larmes qui voudraient le guérir. Car l’amour n’arrive pas au bien qu’il veut. Donc l’amour est-il bon ?

 

 



On dit que la philosophie, ce n’est pas de déverser une coupe pleine de savoir dans une coupe vide d’ignorance, et que l’amour naît d’une blessure infligée par celui qui voulait que l’on tombe amoureux.
 
Dieu est-Il ce vulnérateur ? Sainte Thérèse d’Avila ne laisse planer aucun doute. Dieu est ce roi-Cupidon au sein duquel il faut pécher.
 
Mais comment le Vulnérateur pourrait-il être l’amour en étant la blessure à l’origine de l’amour ? Dieu S’est fait homme pour que l’Amour devienne Sang !
 
Et si l’amour est la rencontre de deux blessures, en versant le sang de l’une dans le sang de l’autre, l’amour est un pacte de sang. Et si les groupes sanguins des deux affinitaires électifs ne sont pas compatibles, le transfusé meurt du transfuge.
 
L’amour est une brèche.
 
Il faut souffrir pour commencer à s’ouvrir. L’expérience est intransmissible. L’empahtie et la compassion ne sont que des analogies de la souffrance méconnue des autres qu’on incorpore à la sienne que l’on n’a que trop embrassée. La compassion trop embrasse, mal étreint.
 
Le chagrin est une crue de lit sans délivrance, comme l’angoisse est une peur sans objet, qui cerne tous les dangers de ce qui pourrait arriver aux autres, ces inconsolateurs du chagrin, dont sont inconsolables tous ceux qu’il a saisis.
 
On ne peut consoler personne, mais on devrait pouvoir accompagner tout le monde.
 
L’amour est le pacte de deux enfances qui ont manqué de tout, et s’unissent pour ne manquer de rien.
 
Les enfants qui s’aiment sont marqués par le chagrin qui embue leurs yeux en regardant le rivage. La mer emportera celui qu’ils se feront en étant scrutée par ceux qui en chercheront la légende, une fois ces orphelins morts.
 
Le sang ne peut pas guérir le sang et deux enfances unies ne peuvent se guérir par l’amour qu’elles échangent.
 
Le sang versé à partir de la blessure peut se changer en larmes. Mais comment les larmes pourraient-eles guérir des pleurs ?
 
La connaissance remplit une coupe d’ignorance d’une substance plasmatiquement grasse de contenu organique. L’amour festif est plastique. Mais l’amour issu de la blessure remplit un cœur qui pleure des larmes qui voudraient le guérir.
 
 
 
L’amour n’arrive pas au bien qu’il veut. L’amour est-il le dérivé du bien ou n’est-il qu’un dérivatif ? Le bien existe-tt-il si l’amour n’est pas bon ?
 
 

 

jeudi 19 avril 2018

LES HUMEURS


Le fantasme est une école de transformation des humeurs.

 

Le fantasme est la sublimation du dégoût comme le goût est la sublimation du désir dont la soif est le féminin, car la soif est l’indispensable de l’insatiable, qui l’un à l’autre sont insupportables.

 

Pourquoi l’enfant a-t-il des dégoûts ? Pourquoi l’enfant ne dégoûte-t-il presque jamais celle qui l’a porté comme il se dégoûte d’elle ? Pourquoi ce que l’enfant a de dégoûtant fait-il le fantasme de sa mère ? Par quel enchaînement d’odeurs ?

 

La puanteur est la projection du dégoût depuis la langue faite pour saliver vers le nez qui prend moins qu’il ne rend.

 

La langue est empêchée de saliver par les dents qui se mettent à puer lorsque l’enfant devient du désir fermenté qui ne se dit ni ne se fait.

 

Le désir dit : « Faire menthe de ce que tu mangeras de l’autre, d’autant que tu ne le sortiras pas. »

Faire menthe ou faire monter, vermouth, frimousse envisagée.

 

Le nez prend ce qu’il peut et rend ce qui pue.

 

L’haleine allaite le velu du fauve au pelage saillant et réchauffe l’air inspiré qu’aucun corps n’avait consolé d’être nu comme l’enfant exhalé est exalté de venir au monde par les auteurs de ses jours sans odeur.

 

Le pue suppure du corps diffamé.

 

L’infection se conçoit de l’inaffectation d’un point auquel on ne fait point d’honneur.

 

L’infection est la maladie des désaffectés.

 

La pudeur est la duperie de la peau inépelée.

 

La puanteur suppure de la peau fermentée comme un désir inassouvi d’être déshabillé.

 

La peau voudrait se purifier en plaie de n’avoir été trouvée au goût d’aucune langue.

 

La pureté n’a de commun avec la pourriture étripée que la certaine âpreté empuantie des deux sourdes dentales aux quarantièmes rugissants de l’ » R » liquide.

 

La pudeur voile l’indécence qui monte en puanteur que voile le parfum qu’exhale la beauté goûtée.

 

Le parfum voise la beauté de la peau apprivoisée.

 

La voix t’apprend le parfum de ton âme. Qui te parle te chante sa voie et te conduit à la suavité de sa voie.

 

Tu as appris une voix quand tu sais te rengorger qu’on te parle de gorge.

 

La voix a été mise en ta poitrine pour ton exaltation. Tu apprends ta voix quand tu la rends agréable à ta poitrine pour que ta pensée thoracique pénètre par des oreilles jusqu’à l’élan d’une foi.

 

Le parfum te fait tourner la tête, reconnaissance de soi choisie pour être reconnue de toi.

 

Le parfum est le sucré que le goût de soi donne à sa peau, car la peau est le secret de l’âme.

 

Autant la voix est le voile alangui de l’impudeur, autant la peau se dérobe au soleil du dévoilement.

 

L’exaltation de la peau par la voix est le vêtement de la chair soupirante dont le sang est la nudité bleue.

 

Autant l’enfant commence de cesser de l’être en découvrant la propreté, autant le commencement de l’amour est le fantasme de donner un goût sublime à la mauvaise odeur parce que le goût est le propre de l’âme.

 

La chair soupire après l’amour.

 

Le propre de l’amour est de trouver le propre de l’autre.


 
                             Claude-Laurent SCHULTZ

mercredi 28 mars 2018

Les enveloppes à bulle


L’inconscient est structuré comme un langage. L’inconscient est le langage de ma structuration.

 

L’inconscient est l’irruption du mystérieux dans la topique de l’intériorité. Mais la structure est l’antonyme du mystère. La structure démystifie la mystagogie. Elle le fait sans qu’on puisse entrer à l’intérieur et sans se donner la peine d’étudier le miracle, censé être l’exception qui confirme la règle et qui, pour cette raison, devient le transparent ou objet aveugle de l’observation.

 

Mais le langage pourrait aussi être l’antonyme de l’inconscient si la conscience naît du langage et que l’inconscient soit, non l’antonyme, mais le mystère de la conscience, destiné de ce fait à échapper au langage.  

 

Toute topique de l’intériorité n’est qu’une allégorisation par des mots personnifiants de ce qui se joue dans l’état d’âme, changements statiques d’ontologie composant notre personne potentielle, pour autant que nous ne soyons pas des composés spirituels nous déployant dans la structure, étant précisé que ce mot d’ »âme » qui serait supposée aller d’état en état, s’impose dans son évanescence statique à la topique de l’intériorité pour échapper à toute allégorie, et pour entraîner le mystère dans le caractère insaisissable qui nous assimilerait à Dieu sur le mode de l’impersonnalité.

 

L’inconscient frappe sourdement dans la topique de l’intériorité contre la fuite de l’âme, en substituant ce qui est caché à ce qui ne peut être saisi. Mais l’inconscient ne veut pas prendre, en miroir du conscient dont j’hésite à parler comme de la conscience et qui serait le corps, la place de l’âme. Il veut se cacher dans le langage et cacher la structure du langage au conscient qui le met en parole et le met en action. L’inconscient ne veut pas se confondre avec les serpents qui parlent, sonnent ou charment,  et les reptiles qui habitent les cavernes saumâtres et somatiques des demeures du conscient ou de l’âme. L’inconscient veut être un demeuré du langage. Il ne consent pas à habiter en dehors du langage comme les infra-langages de la musique ou de l’instinct aux prises avec la nature. L’inconscient ne consent à être confondu avec l’instinct que s’il participe à l’action que mènent la conscience et le corps, à condition que cette action ne naisse pas de la pensée, mais soit conduite par le rêve.

 

L’inconscient ne participe aux dessous du rêve que comme naissance des fantasmes à travers le langage. Le langage fait naître aux images qui construisent les fantasmes. Les fantasmes peuvent être traduits dans la topique de l’intériorité qui parle d’âme comme sa partie appétive, seule la conscience étant sensitive, le sensitif ne rencontrant pas l’objet de l’appétif dans la réalisation du fantasme.

 

Il y a au moins trois manières de naître pour les enfants des hommes. La première est naissance à l’état sauvage ou solide en prenant corps dans les actions organiques de la mère. La troisième n’est pas gazeuse, mais à mi-route entre le spatial et le cérébral. L’esprit de l’enfant dont le corps est enveloppé dans celui de sa mère est placé dans une enveloppe à bulles, de part et d’autre de laquelle l’immergent en bas et émergent en haut les mots du langage que l’enfant n’entend pas afin qu’il ne parle pas en naissant, qu’il n’entend pas, mais qui l’imprègnent. L’enfant est couché sur les mots immersifs d’en-dessous de la bulle qui se laissent crever sans résistance pour former avec le liquide amniotique, bientôt remplacé par le lait maternel quand l’enfant sortira de ces matrices, les images qui le rassérènent. En crevant les mots d’en-dessous de l’enveloppe à bulle sous le poids de son existence comme en se baignant en position fœtale dans le liquide amniotique, l’enfant se constitue son milieu divin, qui est aussi sa seconde naissance, entre le solide et le spatial, le sauvage et le cérébral. Toute la partie postérieure de l’enfant crève l’imaginal de connivence avec la structure et la généralité empathique du monde où il prendra naissance.  L’assentiment de sa tête aux images immergées est l’origine de son intelligence. Tout autre est la raison qui se révolte attentivement contre l’énigme. La raison pousse à coups de pied contre les mots de la partie supérieure de l’enveloppe à bulle. Ces mots en sont crevés comme des excroissances ou des abcès. Les excroissances devenues abcessives seront comme les absences et blessures que l’enfant infligera au langage avant que la vie et son histoire ne l’aient frappé. Ces abcès seront ses obsessions. Les excroissances ou mots crevés avec moins de violence formeront les fantasmes moins douloureux de l’enfant, se dégageant simplement de la coïncidence de son milieu divin et de ce qui devrait convenir à son âme. Ses obsessions fixeront la perversité de l’enfant. Les fantasmes nés des excroissances formeront les simples dissonances cognitives par lesquelles il devra sublimer le malodorant en s’attachant par fétichisme à ses objets transitionnels.

mardi 20 février 2018

Le miroir élémentaire


1. Le moi,

 

 

La vie est difficile pour moi...

Comme pour tant d'autres bien sûr,

mais pourquoi toujours les autres ?

Les autres bien sûr, pourquoi pas ?

Mais aussi moi,

 

non tellement les autres...

que moi :

non tantum, sed etiam...

 

Pas toujours les autres,

moi aussi...

 

Non tellement les autres...

que moi :

 

Non, les autres pas tellement,

mais moi...

 

Non les autres pas trop encore,

mais moi au contraire, tellement...

 

Les autres, on le dit bien sûr,

mais les autres, c'est des "on dit"

alors que c'est tellement, moi,

tellement vrai,

que tantum-quantum :

 

pour combien d'autres... moi ?

Pour quel quota d'autres... moi ?

Pour quelle quantité d'autres... moi ?

 

Non, pas les autres,

pas du tout,

que moi ! :

 

les autres, c'est tellement des "on dit",

c'est tellement quantité négligeable

par rapport à moi,

Les autres,

ça s'en fout de moi

alors que moi,

est-ce que je m'en fous des autres ?

 

Et puis les autres,

ça vit sa vie,

c'est affranchi de moi,

C'est pas seul :

non solum, sed etiam... !

 C'est pas seul, les autres,

puisque c'est pas avec moi,

pas du tout !

Est-ce que moi je m'en fous des autres ?

Pas du tout.

 

Alors non,

pas du tout les autres,

seulement moi,

non seulement les autres,

mais aussi moi...

Non, pas les autres,

que moi,

 

non que les autres,

mais moi...

 

Et puis les autres, non solum

alors que moi, seulement etiam,

seulement aussi,

moi solum, moi seul,

au sol, moi seul.

(c'est bizarre comme il n'y a que moi qui ai mal

quand je dis que j'ai mal à mon moi !)

 

Les autres, c'est tout des racontars,

Mais c'est un fait que moi...

Les autres peut-être, bien sûr,

mais moi, c'est attesté, pas affecté,

c'est factuel,

 c'est sûr,

moi c'est certain,

je le dis,

 

moi, c'est pas du cinéma

alors que les autres, ça se dit, ça se montre,

les autres, c'est des monstres,

c'est des monstres d'égoïsme

qui ne pensent jamais à moi,

sauf quand ça les chante :

"Tiens, ça me chante,

je vais téléphoner à ce moi,

car j'aime bien sa musique,

il est apaisant,

ça fait du bien de l'entendre

et de parler de soi avec lui !"

 

Sur les autres, ça se dit,

ça se raconte,

mais est-ce qu'on sait ?

Et puis, ce qu'on sait sur les autres,

est-ce que ça se raconte ?

 

Non, ce qu'on sait sur les autres,

ça ne se dit pas.

Parler sur les autres,

ça ne se fait pas :

 

 

 

pas autant les autres...

Que moi,

pas seulement les autres...

Mais moi.

Non seulement eux,

mais mois aussi,

moi d'abord,

moi surtout,

 

 

 

moi sur tout,

moi par-dessus tout,

moi parce que, par-dessus tout,

je m'intéresse aux autres,

 

moi qui m'intéresse aux autres,

qui m'entremêle, qui m'entremets,

qui m'entremets, qui m'entremêle,

qui mélange leurs couleurs de vie,

moi qui entre-est,

qui m'interpose,

qui interviens,

 

moi de l'intérieur de qui tout se voit,

en qui tout joue sa synthèse,

 

 

 

non que je sache ou sente tout,

mais tout se joue en moi,

tout passe par moi,

tout me traverse par-dessus les naufrages,

 

 

non que je m'intéresse à tout,

mais je respire...

 

 

non que je ne m'intéresse qu'à moi,

à moi particulièrement,

à moi par-dessus tout,

et que je prenne les autres par-dessus la jambe

pour les jeter à la mer

parce qu'ils ne sont qu'au bord de moi,

 

mais je suis source de tout pour moi,

de tout ce qui se passe et que j'apprends en moi,

et que je prends pour moi ;

 

tout ce qui vit passe par moi,

à travers moi,

 

je déforme tout qui se comprime en moi,

mais ne m'imprime rien qui ne passe par moi,

zone franche et où l'on entre sans droit,

 

 

non que je ne caresse que moi...

Mais...

 

 

Non que je ne regarde que moi

même si après tout, les autres,

ça ne me regarde pas

et que se mêler de ce qui ne nous regarde pas,

cela ne se fait pas...

 

 

Mais...

 

 

Non que je sois égoïste

et ne tienne qu'à moi,

et ne tienne comme Pascal le moi, cet iste, pour haïssable...

 

Mais moi, pascal,

moi qui suis passage,

moi qui suis de passage,

moi, je l'avoue,

je suis narcissique

à défaut d'être égoïste

et encours à la bourse des sentiments cette critique

que je ne mesure le cours

de rien que je ne fasse partir de moi,

 

 

non que je m'intéresse à moi...

Mais je m'entretiens,

car on n'est jamais mieux servi que par soi-même

pour trouver un interlocuteur ;

je m'entretiens de ce qui est

et j'entre-est...

 

Moi à quoi rien n'est si contraire que le non-être,

moi à-quoi, source  et non but...

 

 

 

Non...

Mais...

NON...

Sed...

Latinisme et balancement

en vertu de quoi rien n'est

que par rapport à la proposition contraire,

 

 

non que le non-être ne soit que le contraire de l'être,

car certes, il n'y  a pas du tout de non-être dans l'être :

 

Il n'y a dans le non-être

qu'une manière de cerner apophatiquement

la définition humaine

qui, quand elle se rapporte à l'homme,

embrasse aussi les femmes... :

 

 

..."Non mais oh ! 

Ca devient trivial,

ça devient graveleux,

ça devient gras, 

Le niveau baisse,

tout fout le quand."

 

C'est la trivialité de ce qui s'entremêle,

de ce qui s'interrompt pour se lire à plusieurs niveaux,

de ce qui mélange les niveaux,

de ce qui se met au niveau,

de ce qui s'intéresse et...

Se suce :

 

 

"Non... mais hé... ?"

"Hé ho, ho hé, Roméo, saint-Charles de Boromée,

pas de ça devant les enfants !"

 

Et puis quoi ?

"Tous ensemble, tous ensemble, ho, ho !"

Mais pour quoi faire et quoi derrière, hé, hein ?

Manifestation sans appel d'un appel à l'aide

et puis c'est tout,

et puis c'est rien,

que la répercussion du non-sens sous le préau des collectifs :

"Monde solidaire,

notre vie est un grand chantier... !"

 

 

 

Moi, par un juste retour des choses, faisant retour sur moi, moi pour vous,

parce que j'ai le respect du lecteur

et que le respect du lecteur

est une valeur déontologique...

 

 

Non...

Mais...

 

 

Moi qui n'en peux mais,

mais... que tout concerne,

que tout consterne,

 

moi qui n'en peux mais,

Mais... qui veux tout

(tout, c'est un peu trop),

tout endurer, tout supporter

pour tout soulager,

 

moi qui n'en peux mais,

mais... Sainte Thérèse de l'enfant Jésus non plus,

patronne des missions,

 

moi qui n'en peux mais,

mais... qui ai ma volonté de puissance à moi,

 

à moi qui n'en peux mais,

mais... qui ne suis pas double,

mais multiple,

sur qui tout dribble, rebondit,

en qui tout se rétracte et se multiplie à l'envi,

qui envie tout et ai envie de tout,

 

moi qui n'en peux mais

et qui Dieu sait ne suis coupable de rien,

mais... me sens responsable de tout

et réponds de tout

parce que respondere,

c'est ne jamais être absent,

 

moi sur qui tout pèse

et qui veux peser sur tout

parce que pondere,

ce n'est pas être modéré,

c'est avoir la gloire

ou au moins sa part ;

 

moi qui veux peser sur tout

parce que pieux, j'ai pitié de tout,

parce que j'aime tout,

 

moi qui n'en peux mais,

qui n'y peux rien,

mais qui veux tout pouvoir

pour tout bouleverser

et peser sur tout

pour tout apaiser,

 

moi qui recherche, franchement, ma propre zone de paix

bien que je ne croie pas à la vertu dynamique

de la paix couarde,

 

moi qui suis le destinataire prédestiné

de la totalité de la fatalité,

 

moi que tout a attiré à terre,

mais qui la tête en l'air

cherche du regard

l'horizon qui m'échappe comme un point,

qui m'échappe à moi,

le rescapé qui réchapperai,

 

moi qui cours après l'horizon

et qui plus je vais,

plus elle me fuit

comme les promesses,

parce que moi, le traversé,

je n'ai pas rendez-vous,

ou alors dans un autre après,

dans un autre moment,

peut-être un moment parfait,

qui m'enfantera

pour autre chose que pour moi-même,

moment-maman d'autre chose que de moi-même,

ou de moi, mais pour autre chose

que pour que je m'aime,

moi qui en ce moment...

 

 

en ce moment où j'écris,

en ce moment où je suis,

suis traversé par le tout fractionné,

suis divisé,

c'est-à-dire multiplié par l'inverse de l'autre,

ce second moi ;

m'entremêle,

m'emmêle,

entre-est,

 

essaie,

si peu que ce soit que d'un moi,

d'aller du moi au toi,

du moi au soi,

du moi à l'en soi,

du moi à l'on de choix,

du moi à l'on de soie,

du moi à la soie de l'on,

à la soie de la relation,

à la soie de la religion,

 

à la religion de la soie,

à la religion de la foi,

à la religion de la foi dans l'autre,

à la religion de la foi dans le Tout Autre,

soit la foi dans le Tout Autre,

soit au moins la foi dans l'autre,

soit à la foi la fois dan l'autre

et la foi dans le Tout Autre ;

 

à la religion de la foi

 dans Celui Que je ne connais pas en soi,

Que je ne connais pas en dehors de moi,

Que je ne connais pas

comme je crois me connaître

ou comme je suis connu en soi

(ou crois l'être)

de Celui d'où je procède,

 

moi qui, d'où je parle,

regarde dans le miroir de l'énigme

et pose en original

la question qui ne l'est pas :

de la fatalité,

de la causalité fatale,

de l'enchaînement des circonstances,

de la duplicité dans la causalité

par où ce qui est cause de ma volonté

est aussi cause de sa fatalité,

 

de la duplicité d'un moi qui se tutoie

et qui s'il est double

et s'il se dédouble,

est habité par un ennemi qui le rudoie,

est en guerre contre lui-même,

contre quelqu'un,

se fait violence,

sépare,

est en lutte à mort en soi,

 

moi qui m'ennuie de la paix,

moi qui dis merde à la guerre,

moi qui m'arrache à tout ça,

à tout ça qui parle en moi,

à tout ça qui tant me brûle,

à tout ça qui tangue,

à tout ça qui tend,

à tout qui Satan...

 

 

Moi qui tendu

en tout endroit

ne sais où tourner mes pas

pour marcher à l'endroit,

ne sais où tourner mes pas

pour choisir

ou pour me convertir,

ni si choisir m'échoit,

et si je n'ai pas chu si bas

que je ne puis si peu

que choisir ou me retourner,

 

que je ne puis si peu,

moi qui sui descendance,

moi qui descends

vers quel instant,

vers quel instance,

vers quel Etant,

vers quel étang où se noie le moi qui tangue,

vers quelle enfance avec ses mots d'enfant

et ses "pourquois...

 

 

C'est toujours moi,

mais pourquoi moi... ?"

 

 

2. L'autre,

 

 

Il y a tant d'êtres

qu'on ne sait par où commencer.

Ils ouvrent tant de chemins,

il y a tant à commenter

 

qu'il faut se choisir un ami

à qui pouvoir s'identifier

ou bien encore un amour

en qui pouvoir disparaître.

 

Mais il y aura des frictions,

car nous n'avons pas les mêmes douleurs,

nous ne sommes pas affligés au même point,

au même endroit,

nous avons les différends de nos différences.

 

Des courants  alternatifs

nous relient, puis court-circuitent

nos plus belles relations,

aventures d'affection.

 

Nous sommes trop composites

pour ne pas être seuls

et la Solitude, voilà l'Epreuve.

 

Nous n'en sortons que par moments de Grâce

où ce qui déborde en nous,

ce sont des sentiments qui nous dépassent.

 

Il ne nous reste qu'à essayer

de vouloir malgré les érosions

et de faire de chaque journée

une tension de chaque instant

vers l'émotion de perfection,

 

à moins de sangler une carapace

et de combattre sans merci

avec la force de l'Autre

en marchant à la mort

dans une sceptique indifférence,

Les autres existent apparemment.
 
 
Julien WEINZAEPFLEN