mercredi 21 avril 2010

LA BONTE

Qui se souvient de la bonté, emportée
par ce monde de bêtes rampantes
jusqu'à l'abrevoir du chamelier
où il se met en réserve ?

Le monde est en transe de se réserver
contre la libéralité
qu'il transforme en libéralisme ;

les chameaux en tremblant
trempent, la croupe inclinée,
leurs naseaux dans la coupe creusée
à même le sable désolé
de l'oasis
où ils se remplissent
la panse.

Les chameaux pensent
pour avoir la bosse de l'intelligence.

Les chameaux boivent
aux quarantièmes rugissants.

Les chameaux piaffent, hennissent et ruent,
le dos chargé par les nomades
d'affaires.

Les touaregs font leur business dans le désert
tandis que, lapant aux quarantièmes rugissants,
les chameaux oublient d'apprendre à l'homme
comment devenir un enfant. ( )

Ils oublient également
comment, d'eux, peut perler de l'eau
que l'homme pourrait continuer de boire
s'il n'avait pas ce besoin de rugir,
ce que les chameaux ne font pas
tandis que la bonté s'assoupit (qui s'en souvient ?)
dans la nature anesthésiée,
anémiée.



II

Qui se souvient de la bonté, amnésiée
dans ce monde de métastases
où le chameau devient wagon accroché
à un train de caravanier ?

Bétonnées, les villes
réveillent le désert en sursaut klaxonnant
tandis que les cheminées des haleines des chameaux,
assemblés en train pour l'import-export,
soufflent bitume sur le silicium corrompu.

Les villes sont le produit
de la nature éclipsée,
désobligée d'avoir à se laisser
regarder de travers,
dans le prisme d'une écologie qui ne connaît d'herbe
que celles dont on hallucine.

La nature devient une "hallucination de la réalité" des villes ( )
parce que le désert a oublié de rugir,
emporté par le côté segmentant de la sédimentation du sable en pierres,
carapaces contre l'effritement
général de l'armée des Touaregs
qui commercent pour se donner du spectacle
et faire le souk.
comme nous le Jacques...

quand les chameaux vont boire à l'abrevoir du chamelier,
le désert chante une églogue marchande,
les chameaux penchant leur tête
pour que leurs naseaux plongent
aux coupes naturelles
et qu'ils les épuisent
sans modération ni scrupule.

L'anesthésie de la nature
a fait oublier aux bêtes qu'elles rampaient
ainsi que, de l'oubli des chameaux
de produire de l'eau de préférence à se la réserver,
sont nés les scrupules de l'enfant
perdant contenance et confiance en soi
au milieu d'une nature absorbée,
par l'effet d'une dérive qui n'a rien de féérique,
dans le détournement des fonctions
en activités utilitaires,
l'homme devenant force de travail
et les chameaux ne chargeant pas,
ne contrattaquant pas,
de ce qu'on les charge de bagages
plutôt qu'ils ne fassent ce qu'ils aiment,
qui est de donner aux enfants le goût de se balancer dessus eux
et de leur apprendre qu'il ne faut pas se cambrer
sous le manichéisme de la nature,
mais apprivoiser la relativité
et non pas s'en protéger
par peur de la dualité
en laissant la sédimentation nous segmenter
dans des villes fortifiées contre le danger
obtenues, violenté, par notre effort
qui choisit de construire
plutôt que de laisser courir...



III

Qui se souvient de la bonté, balancée
dans des assauts d'intelligence
où les chameaux se remplissant la panse
de connaissances
pour avoir la bosse de l'intelligence,
travaillent du chapeau
que c'est la bêtise
et non la bonté
qui peut seule donner une idée de l'infini, ( )
chameaux dont la réserve va chanter ça à l'homme
qui en devient conservateur.

"c'est pas moi, c'est ma soeur
qui a cassé la machine à vapeur !"
Il n'y a pas que les caravaniers
qui cherchent fortune, moi aussi
"je descends de la montagne en pyjama"
parce que je me suis endormi,
"youpi aye, aye, youpi youpi aye !"

Et je me suis endormi,
perdant conscience et connaissance,
parce que, par degrés,
la peur sédimentante a laissé s'oublier la bonté,
s'amenuiser, s'anesthésier jusqu'à la laisser balancer,
l'infinie n'étant plus en balance
dans notre nouvelle épiphanie du mouvement.

Quand les chameaux savaient marcher,
chaque primesaut de leurs pas
permettait de saisir l'alternative,
l'infini n'étant une alternance
et ne se laissant diviser de moitié
qu'afin que je le saisisse et laisse à le penser
aux arêtes du trottoir
des villes punitives. ( )

Il n'y a pas d'"arrête" dans le désert,
ni dans le "bifteck" de mon désir.
Je désire dire, interroger :



IV

"qui se souvient de la bonté, amnistiée,
et pourquoi n'est-ce plus à son aune
qu'on prend les mensurations de l'infini ?

Qui a laissé filer la nature
au point que la corruption
en vienne à contrebalancer
la génération
dans le processus et évolutif
dont le paroxysme est peut-être baroque,
mais pas au plan individuel
puisque l'individu est fini
et mortel,
à quoi le préparent,
comme des miniatures des réalités létales,
toutes les mises entre parenthèses de ses anesthésies générales
dont inconsciente est la roche
de s'agglomérer pour se corrompre,
afin de ne pas laisser s'écouler, trop fluide,
le sable évasif,
qui n'est pas la délation du temps." ( )

L'individu rugit d'être mortel
et arrêté
par les parenthèses sédimentaires
d'une corruption latente.

C'est pourquoi, ne bringue-ballant plus,
il ne sait plus que choisir,
ou plutôt ce sont ses pensées qui forment ses choix,
lesquels ne sont que les repères
d'une "morale provisoire", ( )
faisant de nécessité vertu,
prise par revers,
l'individu étant pris à revers.

Pour former un symbole,
il faut ramasser du sable
et le lancer en l'air
avec un bâton.

Ce sable volatilisé
forme un toit.
Ce toit inaugure une demeure.
Cette demeure étanche le besoin
de respirer en certitude
sous les bâches de la Foi.

Cette demeure recrée l'air.
Ensuite, on replace le bâton au centre de la terre
et, en le tenant ferme dans sa main,
on peut sentir la rotation
se communique à nos brasqui
serrés contre le plexus solaire.

La force des bras
est une immobilité musculaire
contrastée par
l'énergie de la rotation de la terre
qui fait palpiter jusqu'aux toits
et nos têtes sous ces derniers.

Ces toits ne s'écroulent pas
quand on les a une fois lancés au vent
en symboles insoumis
à la corruption des avatars.

Le danger n'ébranle pas
la force de l'alternative.

Dans la nature retrouvée
par l'enfant qui tient le bâton entre ses bras,
le bâton s'agitant à peine
sous le toit qui tient tout seul
réveille chez l'enfant
le sentiment de la bonté
qui fait tourner les têtes
des hommes, chavirés par les chameaux
qui refusent désormais
toute autre charge qu'humaine.

La bonté n'est plus recroquevillée,
mais se réveille,
dans la nature recouvrée
par les toits qui tiennent tout seuls.

Les chameaux ont charge d'hommes.
L'heure de midi,
avec les toits pour parasol,
veut que l'homme se lève
pour ne pas faire mentir le sphynx
et qu'il prenne le relais de l'enfant
pour tenir le bâton.

A l'enfant, l'homme demande :




V

"Qui se souvient de la bonté, d'amitié ?"
Et l'enfant de répondre :
"Ton rêve, papa,
même si tu l'as transformé en question."

Et l'homme ne promet pas
à l'enfant
qu'il grandira
dans ce souvenir inentamé

cependant que les femmes acopinées
s'en vont chercher,
à droite de la bosse du chameau qui s'est couché,
la goutte d'eau qui vient d'en perler
et dont chacun se désaltère.

Une lampe torche
éclaire faiblement
la maisonnée s'étanchant
pour perdre l'assèchement
de la langue.

LA MORT PLANE AU-DESSUS DES SYMBOLES,
mais la bonté l'a surplombée,
la parenthèse est refermée
de la mort qui est oubliée.

L'individu ne rugit plus
parce qu'il n'a plus le sentiment
d'être mortel.

La vérité est une esthétique,
c'est le sentiment qui fait foi.

De la bonté, naît la beauté.
"La beauté attire et la bonté retient",
me disait l'abbé Itti,
rescapé de tanboff.

"Je suis rescapé de la vérité
qui est née de mes sentiments,
et c'est la bonté
qui retient le toit de s'éventer."

La beauté naît sous le toit,
retenu par la bonté
de se disloquer
au premier souffle de vent
comme la maison de Noufnouf,
l'aîné des "TROIS PETITS COCHONS".
La bonté n'est pas cochonne
et la beauté érotisée
ne peut être frappée d'interdit.
Ne dispersez pas la vérité,
elle est bouleversante !
L'impossible écroulement du toit de sable
retenu par la bonté
fait sortir la beauté
du monde des refoulements.

Le refoulement, cet écroulement du désir,
n'a pas cours
dans un monde où on ne choisit pas.

L'inutilité de choisir
ou de répondre
fait découler la liberté
de l'inamovibilité
du toit retenu par la bonté,
et la liberté s'épanouit
au voisinage de la beauté
couvée par la vérité.

La liberté pénètre dans sa propre attirance,
en reconnaissant qu'elle ne doit de s'accoupler
à la beauté ou à la vérité
qu'à la bonté qui tient en laisse
la chaîne, élancéée depuis ses jambes d'enfant couché
jusqu'au-dessus des têtes,
en symbole volatile et à tout instant menacé
de se volatiliser
si la bonté ne le retenait.
- La bonté retient et soutient -.
La liberté est un enfant -.

la seule chose qui pourrait empêcher
la bonté d'avoir prise
sur l'édifice de sable
du symbole érigé en toit
serait que la liberté ne commette
le sacrilège de l'inceste
sous le toit de la maison,
ce qui aurait pour effet immédiat
de faire retourner ledit toit
au sable d'où il vient,
tandis que la bonté n'ayant plus rien à retenir,
n'aurait plu qu'à s'assoupir
à nouveau
et que le sentiment de la bonté
renaîtrait des constructions dont on se parerait
contre le danger maisonné.

La bonté assouplit le toit
tandis que la liberté
regarde la vérité
prendre consistance,
sous une forme artistique et belle,
de ce que fait la bonté pour elle,
la couvant par au-d'elle.

La liberté regarde
le toit symbolique se balancer,
la beauté jouir de ce balancement
et la vérité ne tirer son existence
sans exigence
que du mouvement de balancier
et des efforts que fait la bonté
pour faire revenir le toit,
en suivant ses voltefaces,
au-dessus desquelles elle s'est assise
pour les piloter.

La liberté suspend son jugement
de ne regarder la vérité
qu'exister
et tirer son essence
de la bonté, pilote situationniste,
qui redonne vacation à la nature
de dire : "JE SUIS BONNE".

La nature s'attribue la bonté qui la tient
et Dieu sourit de S'y voir assimilé,
Qui soutient la bonté retenant la nature,
indépendamment de la Grâce.


Julien WEINZAEPFLEN

30 AVRIL 2009


(1) Allusion au célèbre itinéraire pour devenir un homme proposé par Nietzsche dans ZARATHOUSTRA et selon lequel il faut commencer par se mettre dans la peau du chameau qui dit "OUI", puis passer par l'étape du lion qui dit "NON" avant de devenir un enfant pour surmonter l'alternative et dépasser la dialectique de l'acceptation ou du refus du monde et de la vie.
(2) "Hallucination de la réalité" : définition commune de la fiction célinienne au sens strict de laquelle, notamment, les romans de Christine Angot sont vraiment des romans, ni plus, ni moins que ceux de Céline, tout jugement de valeur suspendu.
(3) Les deux phrases les plus antihumanistes que je connaisse sont :
"Seule, la bêtise peut donner une idée de l'infini" d'Ernest Renan et :
"Il faut être économe de son mépris étant donné le nombre de nécessiteux" de François-René de Chateaubriand.
(4)Tentative poétique d'exprimer ma conviction politique que l'utopie à venir sera celle qui saura penser dans les arêtes, entre "forces de la réaction" et "parti du mouvement", entre tradition et modernité, dans l'espace de synthèse aporétique où renvoient dos à dos "les extrêmes" qui ne font pas que s'attirer, mais savent poser les vrais problèmes. L'arête où penser a cet autre avantage de vivre dans l'attraction phonétique de l'arété grecque, la vertu, qui tenait toujours le milieu entre deux attitudes également excessives. Ne pas en tirer que le but de raisonner dans les arêtes soit de trouver une conclusion centriste qui fasse revivre l'esprit "juste milieu" de la monarchie de juillet ou du radicalisme français qui n'est radical que par antiphrase ; mais la vertu poursuivie par la cité antique était l'amitié des citoyens. Or, au travail politique de penser dans les arêtes, résiste la pression des événements qui parlent un autre langage, de même qu'aux plans gouvernementaux recensés dans les "déclarations de politique générale", viennent s'opposer les faits du "temps médiatique" qui détournent de l'action à long terme, rendent l'opinion versatile et réclament toutes affaires cessantes une réponse immédiate. On a beaucoup moqué rousseau pour avoir, au début du "CONTRAT SOCIAL", pris de la hauteur d'un magistral : "ecartons les faits", ceux-là mêmes dont Lénine dira plus tard qu'ils sont têtus. Têtus ou non, les faits ne sont pas des créatures philosophiques. Ils viennent contrarier l'exercice de la pensée systématique comme la réalité s'oppose aux principes. Or est-ce parce que la réalité les rend d'application caduque qu'il faut renoncer à avoir des principes ? encore, s'agit-il moins d'en avoir que de trouver les bons !
(5) Allusion au sablier.

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