samedi 17 avril 2010

LE NOMBRE

La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
lequel nombre n'est pas tant là
pour assurer le dénombrement des valeurs
posées en paquets
sur une table arithmétique
que pour assigner leur valeur aux choses
sur des bases chiffrées
qu'on lui confie de déterminer.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre :
qui repose sur le schéma directeur
de la probabilité qu'attaqueront à l'intérieur
des courants ennemis,
et qui répond à l'angoisse superstitieuse
que ces courants n'opèrent,
par la médication de l'incantation.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
et s'oppose à lui
comme l'apologie du rythme technologique
diffère de la montée vers les cimes mélodiques.

La répétition sert de base
à la prière de rabâchage,
alors que le nombre
n'enregistre pas de manière cumulative
le pouvoir additionnel
des valeurs posées sur la table arithmétique,
mais n'en considère que la somme
en marquant chaque étape,
ce qui fait de la prière numérique
une louange active au développement évolutif,
au lieu que la prière répétitive,
qui est une variante de la musique du même nom,
propose une métaphysique mythologique
du merveilleux magique
censée blanchir et désenvoûter
les mécanismes courantiels de la possession.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
et la prière numérique s'oppose à la prière litanique,
comme l'exaltation diverge de l'extase.
L'extase ferme les yeux du visionnaire
et l'expose aux courants d'air,
au lieu que l'exaltation emporte l'être
conscient et expansé,
d'étape en étape,
vers l'accumulation des connaissances intérieures,
d'où s'étire sa croissance personnelle.

La prière numérique
répond à l'angoisse
par la positivité des connaissances,
alors que la prière tantrique
y remédie en impliquant
la relativité des influences.
Ce en quoi,
bien qu'elle soit dite selon un ordre
qui ne souffre aucune rature,
la prière de répétition
agit sur le mode cahotique,
là où la prière numérique
prend la hauteur de la confiance
pour faire de l'homme un aigle
à vocation de cimes.,
ce dont, rien qu'à l'écrire, j'ai la nausée,
car l'envol dont la confiance s'éloigne de la possession
est relatif au vol qu'elle fait de la confidence,
et il n'est pas dans la nature de l'homme
d'être dépositaire du secret.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
car elle obéit au chaos qu'elle enregistre,
et en cela elle est valeur d'ordre,
tandis que le nombre,
en amplifiant les ailes
de l'aigle-ogre humain,
donne certes ordre à la réalité
selon les orgues de l'Esprit Sapiential,
mais subvertit l'ordre chaotique désenvoûté
en une prise de hauteur par révolte,
qui méprise les courants dévorants.

Le nombre s'engage dans le progrès dialectique,
quand la répétition émet à toute vitesse
des signaux qui ont pour fonction
de contrarier la marche à la mort
par catastrophe apocalyptique
et hydrocution sous l'effet des courants pirates.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre
et toute leur opposition se résume
dans l'antagonisme qu'il y a irréconciliablement
entre le progrès et la vitesse,
le progrès résultant
de l'addition des étapes
considérées dans leur somme,
et la vitesse procédant à la manière du chaos,
c'est-à-dire se précipitant pour éviter les précipices
sur toutes les solutions à portée de prière,
fussent-elles hasardeuses, aventureuses ou calamiteuses.

Le progrès méprise la vitesse
autant que la vitesse ignore le progrès.
La vitesse ignore le progrès parce que,
fondée sur la relativité des valeurs,
elle ignore leur relation.
Le progrès méprise la vitesse
parce qu'en dépit des avatars
que provoquent les courants angoissants,
le progrès est facteur d'accroissement conditionnel
et spécifique humain.

Le progrès civilise l'espèce
alors que la vitesse
s'excite en segmentant
à profiter ou à éviter.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
et notre civilisation qui se stratifie
commence à payer pour le savoir,
car le progrès a été pris de vitesse,
et l'accumulation des connaissances
n'est plus systématiquement
un fait globalement positif,
chacune des valeurs accumulées
offrant à chacun des individus indiciels
composant la société atomisée
une infinité de choix multiples sans questions
qui, n'étant plus faits de concert
par le bloc monolithique
de la communauté collective
dont ces choix seraient la volonté générale
s'annulent ou créent des déséquilibres
qui sont causes de conflit
ou de complication dysharmonieuses
qu'on appelle "complexité"
en sociologie cuistre et pédantesque.


La répétition a pris le pas sur le nombre
par une sorte de loi
de décadence universelle
qui n'est peut-être qu'un moment dialectique
préparant le retour du nombre
pour écrire l'histoire
sur une autre base
que celle de la civilisation.

La vitesse a pris de l'ascendant sur le progrès
et le compte à rebours semble près de pouvoir commencer,
qui nous fera revenir du nombre au dénombrement
et qui précipitera l'être humain,
ayant nucléarisé la terre en chaos postoriginel,
dans l'espace, cet inconnu planétaire inintensif.


Si le nombre, hors la civilisation,
a peut-être encore
de beaux jours devant lui,
dont il s'emploie par avance à considérer la somme,
il ne faut pas qu'il s'illusionne :

il ne devra de les compter
qu'à sa séparation d'avec la répétition
qui l'aura précipité dans l'inconnue monade étendue,
tandis qu'elle démembrera la terre
sans le secours de son dénombrement ;
de sorte que la terre sera réduite
à une fraction de poussière
irrationalisée engrains sementiels par le nombre structurant.


La transe répétitive n'est pas du goût du nombre,
comme l'événement apocalyptique
désavoue la continuité de la construction historique.

Pourtant répétition prédictible
et nombre calculable
forment un vieux couple,dont probablement
on croit depuis longtemps
que le divorce avant peu
sera enfin consommé.

Mais, ce qui est encore plus certainement probable
que l'apocalypse prophétiquement et
mathématiquement programmée dans laquelle
la terre,
finalement submergée par ses courants contraires,
sera nucléairement détruite,

c'est que la conciliation n'est pas possible
entre ces deux partenaires,
qui en moi, pour exemplaire,
contrarient le mouvement
d'élévation de la prière,
tantôtinspiré par le chiffre de dieu
et tantôt expirant sous les répétitions des chapelets rituels
comme si, génériquement,
l'homme, qui n'est pas d'accord en genre et en nombre,
ne pouvait jamais s'écrire
que dans une dualité mortelle,
où le oui et le non voudraient cohabiter :
mais le oui est exigé,
et le non est prononcé ;
et ce oui est le nombre positif,
et ce nom est la répétition cahotique ;
et le oui est l'adhésion de la foi,
et le non est la constance de l'inconfiance ;
et le oui est le désir de l'alliance,
et le non est son impossibilité ;
et le oui ne croit pas en une intervention,
et le non prévient la providence ;
et le oui attend cette intervention,
et le non la redoute ;
et le oui vient de Dieu,
et le non est à Dieu,
et l'homme, cet entre-deux,
doit faire face au diable,
avec le secours
des formules qui chassent cette chimère mouchetée,
et du nombre qui le tient
pour quantité négligeable,
un différentiel décimal dans l'infini exponentiel.

Julien Weinzaepflen

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