samedi 17 avril 2010

L'ART

I

La pierre a ses têtes, sculpturalement et,
plus elle monte en buste,
moins elle est muette,
à la condition cependant,
sine qua non, la condition,
qu'y soient ménagées des cavités

- la pierre n'est pas muette
si elle a des cavités -,

en sorte que l'on plonge sa main dans une blessure
qui ne saigne pas,
d'où sorte une parole
qui ne crée pas.

Car trop facile à la fin est que la Parole crée,
ce que nul oeil n'a jamais vu.

Dans la pierre octogonale et décapitée
où sont ménagées d'improvisées cavités biscornues,
vient vous manger dans la main si vous l'y plongez nue,
non pas la mésange dont le bec en vous picotant
vous effleurerait pour le flirt
comme vous déflorez la marguerite sentimentale,

mais, au lieu de la parole qui enjoint
en des jointures qui vous mordent,
au lieu de la parole carnée d'un rouge sang
qui vous fait devenir sa chair,
au lieu de la stance abracadabrantesque
qui vous mène à la baguette inféale,

la parole angélique qui vous mange dans la main,
que vous prenez et manger,
que vous laissez se déposer sur votre paume
parce qu'elle vous représente et vous explique :

au-delà de ce que vous voulez,
ce qu'il en est de ce que vous faites
et de ce que vous pouvez faire
une fois que vous avez abandonné le domaine du potentiel,
non par manque de Foi,
mais par goût de l'impuissance ;

non par ascèse charnelle,
mais parce qu'à un moment donné, même si ça manque de sel,
la chair on s'en fout que ça existe ou pas,
et qu'il faille faire le ménage
plutôt que de passer sa vie à regarder ce qui se passe
et à le dire,
et à s'isoler pour ciseler ces mots
qui montent d'une pierre muette ,
qui se laisse faire tête avec des cavités,
dans la suffisance que l'art, s'il n'imite pas la nature,
du moins la commente-t-il

en telle efficacité que point n'est besoin
que la parole fasse ce qu'elle dit
puisque l'opacité est traversée,
que l'oeil peut y plonger,
que la main peut y manger
et que dans votre main a appris à manger
le silence qui n'est pas écho,

pourvu que cette main, vous la passiez à l'intérieur de la cavité
et que vous la retourniez après
pour, la paume ouverte,
assister à ce miracle de la cavité,
la pierre vous parlant,
qu'elle se transforme pour vous
en pain des anges...


II

que vous mangerez debout,
sandales aux pieds
et la ceinture au ventre
en écoutant la nature naturante
qui, tandis que la pierre vous parlera
pour peu que vous la palpiez,
continuera de chanter son psaume
de commentaire de la Création
à la louange de Son auteur
en débordement de Son INITIATION.

Et vous écouterez ce chant venir de haut.
Et pourtant il monte, mais il monte à vos pieds,
mais c'est vous qui l'élevez
parce que c'est ce qu'il vous demande de faire.

C'est vous qui l'élevez,
et la mesure dont vous vous servirez
pour le faire monter,
ce chant de la nature,
jusqu'à la partie de votre corps
où vous vous arrêterez,
servira de toise
à ce que la nature se mature,
se nature,
et c'est en vous qu'elle le fera,
car telle est son ELEVATION

et s'il n'est pas vrai que vous interveniez
par le pouvoir magique
dont seraient doués de volonté vos mots,
pour créer ce qui n'existait pas,
la nature a besoin de la mesure
dont vous laissez monter son chant
de vos pieds posés sur la pierre qui n'est pas muette
jusqu'à la partie de votre corps où vous pourrez vous arrêter,
selon votre degré d'éveil.

Et ce point d'arrêt qui sera
la marque de votre propre maturité,
sera aussi la capacité
dont vous saurez ne pas comprendre
- car affreuse est cette notion de compréhension
qui circonscrit le Tout dans l'humble -,
mais à défaut
(si ne pas comprendre
et avoir des cavités spirituelles
ne sont pas des qualités esthétiques),
évoquer.


II

En fonction donc du point de votre corps
auquel vous aurez su laisser monter le chant de la nature
pour qu'il vous touche
- et il vous faut apprendre à le laisser monter
de plus en plus haut,
ce qui est une bien plus belle devise
que de regarder vers le haut -,
sera défini votre pouvoir évocateur,
tout entier fait, si vous y réfléchissez,
de votre pouvoir de séduction
et dans lequel consistera,
une fois que vous aurez renoncé à considérer
qu'on est artiste pour créer,
le but de votre vie artistique,
qui ne sera nul autre en somme
que de commenter
ce dont vous êtes le symbole,
le signe et le sacrement.



Et vous serez d'autant plus sacramentel
que vous aurez atteint,
non pas la perfection du discours commentatoire,
mais ce pouvoir d'évocation qui est votre partition,
où se joue votre participation à la Création,

non essentiellement, comme on l'a dit,
pour ajouter de l'inédit,
mais parce qu'il faut des coeurs où consteller,
parce que des mélodies en montent,
ce prodige qu'il existe
de la matière performée
autour de laquelle il vous faudra écrire comme on aime,
dans l'appesantissement du subjectif,
au point qu'on dit imbécile de l'"on" le plus neutre,

dans la bienveillance de la neutralité
où, parce qu'on s'est fait "point commun,"
tout à coup, pareilles à la pierre qui s'est prise à parler,
les choses se mettent à luire,
de manière que les signes dont vous vous serez servis
pour mettre cette lueur en couleurs,
ne soient que les excroissances de l'énergie spirituelle
avec laquelle il arrive quelquefois
que les choses cessent d'être des choses,
cessent d'être grammaticalement neutres,
- peut-être parce que vous avez rejoint
leur point de neutralité
en vous faisant point commun pour les rendre animales -,
devenues animables, vous n'étant qu'animé d'une intention,
d'une façon de regarder qui vous rende inspirable,
perméable à une certaine vision des choses,
à ce que les choses vous fassent signe !




A mon père à l'hôpital,
le pareil qui fut mon hôte
et dont je suis issu comme il me conçut.

Julien Weinzaepflen

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