mercredi 21 avril 2010

Maman peinture

On m'a dit, Maman, que tu étais douée...

Dis-moi : comment tu fais pour y arriver ? !

Moi, je crois que si je devais peindre une toile,

Je regarderais et puis... Je mettrais les voiles.

Je suis touché, tu dis que je suis un artiste.

Je ne sais pas, je crois que je suis très sensible,

Mais je pense être aussi de nature égoïste :

quelle est donc l'unité où je serai crédible ?

Maman, y a-t-il un lien entre être artiste et triste,

Lorsque s'éclaire un rai de générosité

et que l'on trouve ça si beau, si fantaisiste,

que, comme un rien, on pourrait se mettre à pleurer ! ?

Je n'ai jamais appris ce que c'est dessiner...

Pourtant je le devine et m'y suis essayé.

Ne voyant pas, ce m'est un talent difficile

Que celui de trouver des formes volubiles.

On sent que le papier sait dire franchement

Que, tout comme une femme, il veut qu'on le caresse ;

Il ne faut pas remettre et différer longtemps

Ni lésiner de l'encre à chatouiller ses fesses.

Angoisse est l'écrivain devant sa page blanche,

Mais se ressaisit car le papier est cassant...

La toile elle intimide et veut que l'on s'épanche

Et qu'on n'ait pas choisi sa matière en passant.

Il y a certain bruit que fait quand on le touche

Le papier qui se rit de nos mains mal à l'aise ;

Mais la toile se crispe, elle joue les farouche

Et les frémissements de femme en charentaises.

Il y a certain bruit: le papier se chatouille

Mais se reprend sitôt et jamais ne s'emballe ;

Le pinceau se prépare... Attention... Il se mouille !

La toile est comme lui, ils sont vraiment aux poils...

Le pinceau est velu et se trouve virile :

Il sait que la toile aime à crier qu'elle a mal !

Pourquoi voudriez-vous que pour elle il s'épile ?

Entre elle et lui, ces cris sont un jeu très banal.

Il ne fait que la picoter de rêchottes morsures.

Elle de se récrier : "Au secours, ô blessures !"

S'ils jouent à tout cela, c'est qu'ils s'entendent bien,

Et la toile sera réceptive au dessin.

Je te revois, Maman, tous tes pots de couleur

Posés tout près de toi, visant le chevalet ;

Ces couleurs qui pour moi n'étaient que des odeurs,

Qu'un badigeon qu'à la toile, je jalousais.

Car j'aimais bien les crèmes et les froides pommades

Qui promettaient ses chances à tout mon épiderme

D'aimer qu'on le badine, pas autrement malade

Qu'en son désintérêt pour tout travail charnel.

Je voyais les couleurs en sentant les dessins

Et je t'écoutais peindre ou, par intermittences,

Plongée dans tes couleurs, promettre à la nubile

Le maquillage au lait qui la rendait fébrile.

Et ta main n'était pas étrangère à sa fièvre,

Qui, quand elle caressait, était un peu râpeuse ;

Mais c'était une main-pinceau sans gants ni mièvre

Qui veloutait la toile en satin de vareuse.

C'est vrai qu'assis à ne rien faire, bien souvent,

A m'emplir de senteurs qui ne me gênaient pas,

Je m'ennuyais et je sentais passer le temps :

Je n'étais qu'un enfant, un vrai, tu ne crois pas ?

Mon imagination faisait tous mes voyages

Sans bagage au jardin devant notre villa.

Rien n'était plus lointain pour moi qu'un paysage,

Que tu reproduisais, je ne savais pourquoi.

J'aimais beaucoup rêver - toucher m'était hostile -

A des guili-guili, à rire dans tes bras.

Car j'étais un enfant, un enfant paraît-il

Prolixe en anecdotes à ne s'arrêter pas.

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Je te déconcentrais, je ne pouvais me taire,

tu m'envoyais alors voir si dans la cuisine

Tu n'étais pas... Et moi, j'y vais et puis je flaire :

"non non Maman, dans la cuisine, tu n'es pas."

Moi, j'étais un enfant à tête et à longs cils,

Tout fou d'être écouté et d'entendre à la fois ;

La peinture entre nous coupait les petits fils

De causants entretiens que tu ne boudais pas.

En soi, l'ubiquité ne m'aurait gêné guère,

Mais l'habitude était ancrée qu'on n'y crût pas.

Je regrettais peut-être un peu que sur la terre,

On ne pût être qu'à un endroit à la fois.

Dans le dessin, c'était ce qui me gênait le plus :

Que l'on reproduisît les anges déjà là.

Sur tes portraits parfois, on pouvait être vu

Alors que chaque jour on parler avec toi.

Je n'aimais pas que tu figurasses des natures mortes :

Que venais-tu fouiller dans les ombres du paradis...

Puisque tu savais peindre plus intéressant qu'une carotte ?

J'ai toujours cru et attaché à l'homme un trop grand prix !

Tu faisais beaucoup de portraits d'enfants,

Tu inventais des contes éducatifs.

Tu voulais faire aimer le différent

A l'enfant ballottés et agressif.

Amnistie internationale t'employait

Pour composer semblables bandes dessinées

Où, à travers le différent, c'était

Peut-être moi que tu faisais aimer.

Maman, je n'ai pas dit que tu peignais pour moi,

Car tu avais un don et tu le travaillais.

Et tu voulais m'ouvrir au travail de tes doigts,

Pour m'initier à ta couleur, à tes secrets.

Je ne regrette pas ces heures ennuyeuses

Où t'écouter peindre ne me suffisait pas

Et où je te forçais à mesure de creuses

Questions à quitter ton élément à toi

Que j'avais beau aimé apprendre, que veux tu ?

J'estimais en avoir carrément fait le tour...

Si tu m'avais joué un petit impromptu,

J'aurais pu t'échanger quelques notes de cour.

Tu me disais : "Imagine-moi travaillant !"

Mais le charme en était monotone et déjà

(Je n'aurais pas été un véritable enfant),

Je ne m'intéressais qu'à ma maman à moi !

Et pourtant j'aurais dû deviner tes palettes

Et chercher davantage à comprendre ton style ;

Mais ayant trop tendance à vivre dans ma tête,

Le voyage en couleurs m'était trop difficile.

L'archet de mon violon n'était pas militaire,

J'aimais mieux me couler dans une évasion

Où je prenais sur moi un envol salutaire,

M'enchaînant à tout fuir dont je saurais le nom.

La peinture se moulait dans cette limbe douce ;

Je n'étais pas friand que tu me décrivisses

Ton dessin, ses enfants et leur jolie frimousses :

Ils me privaient de toi, envahissant notre isthme.

Je m'en faisais musique à notes débridées

Et plus tard harmonies où pleuraient des accords.

Moi, le compositeur aux bains du gynécée,

J'improvisais dans le sang de tes enfants morts...

J'avais horreur des larmes et du lait, pas de l'eau,

Je n'aimais le liquide que fluide et blanc-sirop.

Je trouvais la saveur perfide à la beauté,

Moi que seules des caresses savaient enchanter.

Je n'étais pas Oedipe et j'aimais bien mes frères,

Et j'étais trop petit pour affecter la mort,

Mais j'aimais jouer seul du piano pour ma mère

Et cherchais tes pinceaux dans mes frasques sonores...

Paris, le 13 mai 2000

Julien Weinzaepflen

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