mercredi 21 avril 2010

Paroles d'os

Je craque contre les parois
et je claque sous la pierre :
c'est mon cri de terreur.

Ils avaient dit :
"ni fleurs, ni couronnes !",
je voudrais bien les y voir...
Ils ne viennent jamais nous voir,
le cimetière est si loin,
personne n'y vient jamais :
il n'est pas au coin de la rue,
nous n'avons que le jardinier pour visiteur...
Et ils ne veulent même pas nous offrir des fleurs ?

Ne parlons pas des couronnes,
ça va bien comme ça :
nous ressemblons à des couronnes dentaires,
la pierre nous l'a assez ditfait comprendre
en nous engloutissant sous elle :
la pmierre est première vue,
sous les yeux du visiteur
du cimetière déserté.

On ne veut pas de couronnes,
mais au moins des fleurs, des fleurs quand même...
Le jardinier vient faire verdir les arbres :
nous, nous noircissons sous les pierres.
Sous les pierres, le silence est à faire peur
(tempête sous les crânes, torpeur sous les pierres),
mais il ne faut pas craquer,
ça ne résoudrait rien,
personne ne nous entendrait.

Le silence ronge les concessions.
Le silence plonge les concessions dans la tumeur.
Le jardinier ne ratisse pas sans casser des os,
mais c'est pour les fleurs et les couronnes,
c'est pour les visiteurs,
tous ceux-là qui ne viennent pas.
c'est pourquoi les cimetières sont tristes,
et parce qu'on entend les bruit de la ville
au loin noyés par la piété

Le jardinier change les morts de place
vu qu'un homme,
ça n'est jamais qu'une bonne omelette
et que les os,
ça fait de bons oeufs.

Les visiteurs n'en savent rien.
Pour eux, du moment qu'il y a des concessions
"qu'on paye assez cher", disent-ils,
et des fleurs à la Toussaints...

Nous ne faisons pas partie du décor,
nous sommes en-dessous du parterre,
le jardinier ne nous demande pas notre assentiment,
ni la pierre notre secret.

Nous ne recevons, en guise de breuvage,
que la source des larmes
des yeux qui pleurent
ceux que nous étions et qui ne nous étaient pas,
sans quoi la parole
ne nous aurait pas aussi radicalement quittés.

Nous étions bien inspirés
de nous moquer des carmélites !
Le jardinier ferme notre cloître pour la nuit :
les gardiens de cimetière sont de simples fonctionnaires,
il faut bien qu'ils rentre chez eux,
on ne veille plus les morts...

Nous avons un jardin secret,
un souterrain à ciel ouvert
qui nous garde pour la nuit,
il y fait bien froid l'hiver.

Nous avons un jardin secret,
comme je voudrais qu'il soit profané !

Les vivants ne veulent pas, ils se gardent bien de :
ils envoient les satanistes aux Assises, on ne peut pas leur reprocher :
"ça ne vous regardent pas",
leur lancent-ils comme chef d'inculpation.
Mais à nous, ils demandent :
"Maintenant que tu es là en-dessous,
tu peux bien nous le dire,
si tu as laissé des lettres..."
"Nous n'en savons rien, Madame", leur répondons-nous.
Nous voudrions bien vous aider,
mais nous ne sommes que les ongles et le squelette :
imposible de vous renseigner.
Nous vous conseillerions bien de vous adresser à l'âme,
mais nous ne savons pas où elle est."

Le message ne passe pas, elles ne nous entendent pas.
Elles se mettent à frapper sur nos tombes avec colère
et elles répètent plus fort :
- Mais dis-le donc. Tu vas nous le dire enfin ?"
Le jardinier les regarde de travers
et la pierre nous impose silence.

Aucun message n'est passé.
Celui que nous étions
et qui ne nous était pas
avait une vie privée
qu'il ne nous racontait pas,
et nous restons seuls avec un secret que nous ne savons pas,
qu'il a gardé pour son âme immortelle,
que la pierre, sous laquelle nous sommes, ne nous demande pas,
et que ceux qui nous le demandent
ne nous entendent pas leur répondre
que nous n'en savons rien.

Nous sommes retombés, c'est un pléonasme,
dans l'enfance de la parole.
Nos caprices ne feraient craquer que nous-mêmes,
il vaut mieux se résigner.

-Pierrot, mange ta soupe.
- Mais il y a un os dans le potage :
c'est que je n'ai pas de cuillère.
- L'os, il est dans ton rêve,
Et la cuillère, elle est dans ton verre,
disent les parents de Pierrot lunaire.
- Et moi Pierrot, (je réponds à l'enfant
en ma qualité d'os),
si j'avais une cuillère,
crois bien que je viendrais dans ton potage,
et tu le mangerais.
(Car ce n'est pas l'âme qui entre dans le corps,
à ce qu'on dit depuis peu,
mais le corps qui entre dans l'âme).

Je m'arracherais de la pierre,
je soulèverais le couvercle,
et je viendrais dans ton potage.
Je lâcherais le secret (de famille),
je profanerais le jardin
et j'accourrerais dans ton assiette,
je ferais le clown pour Pierrot.

Mais la pierre ne lâche pas le morceau,
on ne vient jamais dans le potage,
on n'en a pas le loisir,
on finit par se sédimenter
et par faire tellement corps avec la pierre tombale
qu'on en devient de marbre.

Il y a un os :
c'est le silence du sommeil imposé.
On ne roule pas la pierre
quand on n'est pas de Turin, ville de linceuls.
On reste l'Invisité
que personne n'invite à s'avouer.

C'est une petite chose que l'attente,
quand il y a quelque chose au bout ;
mais quand on n'en sait pas le bout,
quand il se peut que ça ne s'arrête jamais,
quand on n'est sûr de rien,
quand ça dure déjà depuis si longtemps,
quand "il y a si longtemps que je t'aime et
(déjà tu m'as oublié)",
quand il n'y a plus de claire fontaine,
à quoi ça rime
d'attendre dans un cimetière ?

Les gens ne vont jamais au cimetière,
ils n'en ont pas le loisir,
ils n'en éprouvent pas le besoin
parce qu'ils n'y retrouvent pas leurs morts :
le gardien les change de place,
il ne respecte pas les concessions.

- Il n'y a pas un chat, n'est-ce pas ?
- Si si, il y a moi.
- Ah, il y a un os.
- Oui, c'est moi, bonjour !
- Il y a un os, tu vois bien, on ne peut pas, allons-nous-en.
- Au revoir !
- Adieu !
LES OS'OS


Je craque contre les parois
et je claque sous la pierre :
c'est mon cri de terreur.

Ils avaient dit :
"ni fleurs, ni couronnes !",
je voudrais bien les y voir...
Ils ne viennent jamais nous voir,
le cimetière est si loin,
personne n'y vient jamais :
il n'est pas au coin de la rue,
nous n'avons que le jardinier pour visiteur...
Et ils ne veulent même pas nous offrir des fleurs ?

Ne parlons pas des couronnes,
ça va bien comme ça :
nous ressemblons à des couronnes dentaires,
la pierre nous l'a assez ditfait comprendre
en nous engloutissant sous elle :
la pmierre est première vue,
sous les yeux du visiteur
du cimetière déserté.

On ne veut pas de couronnes,
mais au moins des fleurs, des fleurs quand même...
Le jardinier vient faire verdir les arbres :
nous, nous noircissons sous les pierres.
Sous les pierres, le silence est à faire peur
(tempête sous les crânes, torpeur sous les pierres),
mais il ne faut pas craquer,
ça ne résoudrait rien,
personne ne nous entendrait.

Le silence ronge les concessions.
Le silence plonge les concessions dans la tumeur.
Le jardinier ne ratisse pas sans casser des os,
mais c'est pour les fleurs et les couronnes,
c'est pour les visiteurs,
tous ceux-là qui ne viennent pas.
c'est pourquoi les cimetières sont tristes,
et parce qu'on entend les bruit de la ville
au loin noyés par la piété

Le jardinier change les morts de place
vu qu'un homme,
ça n'est jamais qu'une bonne omelette
et que les os,
ça fait de bons oeufs.

Les visiteurs n'en savent rien.
Pour eux, du moment qu'il y a des concessions
"qu'on paye assez cher", disent-ils,
et des fleurs à la Toussaints...

Nous ne faisons pas partie du décor,
nous sommes en-dessous du parterre,
le jardinier ne nous demande pas notre assentiment,
ni la pierre notre secret.

Nous ne recevons, en guise de breuvage,
que la source des larmes
des yeux qui pleurent
ceux que nous étions et qui ne nous étaient pas,
sans quoi la parole
ne nous aurait pas aussi radicalement quittés.

Nous étions bien inspirés
de nous moquer des carmélites !
Le jardinier ferme notre cloître pour la nuit :
les gardiens de cimetière sont de simples fonctionnaires,
il faut bien qu'ils rentre chez eux,
on ne veille plus les morts...

Nous avons un jardin secret,
un souterrain à ciel ouvert
qui nous garde pour la nuit,
il y fait bien froid l'hiver.

Nous avons un jardin secret,
comme je voudrais qu'il soit profané !

Les vivants ne veulent pas, ils se gardent bien de :
ils envoient les satanistes aux Assises, on ne peut pas leur reprocher :
"ça ne vous regardent pas",
leur lancent-ils comme chef d'inculpation.
Mais à nous, ils demandent :
"Maintenant que tu es là en-dessous,
tu peux bien nous le dire,
si tu as laissé des lettres..."
"Nous n'en savons rien, Madame", leur répondons-nous.
Nous voudrions bien vous aider,
mais nous ne sommes que les ongles et le squelette :
imposible de vous renseigner.
Nous vous conseillerions bien de vous adresser à l'âme,
mais nous ne savons pas où elle est."

Le message ne passe pas, elles ne nous entendent pas.
Elles se mettent à frapper sur nos tombes avec colère
et elles répètent plus fort :
- Mais dis-le donc. Tu vas nous le dire enfin ?"
Le jardinier les regarde de travers
et la pierre nous impose silence.

Aucun message n'est passé.
Celui que nous étions
et qui ne nous était pas
avait une vie privée
qu'il ne nous racontait pas,
et nous restons seuls avec un secret que nous ne savons pas,
qu'il a gardé pour son âme immortelle,
que la pierre, sous laquelle nous sommes, ne nous demande pas,
et que ceux qui nous le demandent
ne nous entendent pas leur répondre
que nous n'en savons rien.

Nous sommes retombés, c'est un pléonasme,
dans l'enfance de la parole.
Nos caprices ne feraient craquer que nous-mêmes,
il vaut mieux se résigner.

-Pierrot, mange ta soupe.
- Mais il y a un os dans le potage :
c'est que je n'ai pas de cuillère.
- L'os, il est dans ton rêve,
Et la cuillère, elle est dans ton verre,
disent les parents de Pierrot lunaire.
- Et moi Pierrot, (je réponds à l'enfant
en ma qualité d'os),
si j'avais une cuillère,
crois bien que je viendrais dans ton potage,
et tu le mangerais.
(Car ce n'est pas l'âme qui entre dans le corps,
à ce qu'on dit depuis peu,
mais le corps qui entre dans l'âme).

Je m'arracherais de la pierre,
je soulèverais le couvercle,
et je viendrais dans ton potage.
Je lâcherais le secret (de famille),
je profanerais le jardin
et j'accourrerais dans ton assiette,
je ferais le clown pour Pierrot.

Mais la pierre ne lâche pas le morceau,
on ne vient jamais dans le potage,
on n'en a pas le loisir,
on finit par se sédimenter
et par faire tellement corps avec la pierre tombale
qu'on en devient de marbre.

Il y a un os :
c'est le silence du sommeil imposé.
On ne roule pas la pierre
quand on n'est pas de Turin, ville de linceuls.
On reste l'Invisité
que personne n'invite à s'avouer.

C'est une petite chose que l'attente,
quand il y a quelque chose au bout ;
mais quand on n'en sait pas le bout,
quand il se peut que ça ne s'arrête jamais,
quand on n'est sûr de rien,
quand ça dure déjà depuis si longtemps,
quand "il y a si longtemps que je t'aime et
(déjà tu m'as oublié)",
quand il n'y a plus de claire fontaine,
à quoi ça rime
d'attendre dans un cimetière ?

Les gens ne vont jamais au cimetière,
ils n'en ont pas le loisir,
ils n'en éprouvent pas le besoin
parce qu'ils n'y retrouvent pas leurs morts :
le gardien les change de place,
il ne respecte pas les concessions.

- Il n'y a pas un chat, n'est-ce pas ?
- Si si, il y a moi.
- Ah, il y a un os.
- Oui, c'est moi, bonjour !
- Il y a un os, tu vois bien, on ne peut pas, allons-nous-en.
- Au revoir !
- Adieu !

Julien Weinzaepflen

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