samedi 17 avril 2010

L'ENFANT DE LA GUERRE

Si c'con d'Hitler n'avait pas déclaré la guerre
en 42 point ne serait morte ma grand-mère
sa fille violée par sacrifice point n'aurait été par son père
je suis l'enfant de la guerre

Potentats adipeux endimanchés qui dans vos sordides églises
dames patronnesses qui le Saint-Sacrement gardé entre vos cuisses
braillez comme des veaux qui ont peur de l'abattoir "sauvez sauvez la France"
que vous importe ma souffrance
je suis l'enfant de la guerre

Ribbentrop au pape dans son Vatican fait la révérence
Staline s'inquiète de savoir combien de divisions Pi XII peut faire entrer dans la danse
moi j'irai cracher dans les trèfles et pisser dans les sainfoins
je suis l'enfant de la guerre

Je suis celui que l'on cache
je suis celui à qui l'on interdit de toucher
je suis celui qui garde les vaches
que gardent les gentilles vaches
je n'ai du chien que l'amitié
je suis celui que jamais on ne câline
je suis celui que l'on enferme à l'orphelinat
je suis l'enfant de la guerre

Je suis l'indésiré
je suis le fruit du péché
que toute ma vie je dois expier
je suis Celui à qui le silence est imposé
je suis celui à qui la vérité est obstinément refusée
comment voulez-vous que je ne sois pas révolté ?
Ma place est chez les pestiférés
je suis l'enfant de la guerre

Dans les mazagrans j'ai bu la douleur
la pisse d'âne a été ma seule liqueur
une bouse de vache a remplacé le beurre
une peau de bique m'a donné sa chaleur
de loin on m'a permis de humer les pois de senteur
je suis l'enfant de la guerre

Je suis habillé de cécité
de beaucoup d'interdits je suis frappé
d'une kyrielle de tabous je suis frappé
toutes les salutations que l'on m'adresse sont empreintes de pitié
je suis l'enfant de la guerre

La lumière m'a fui
le ruisseau s'est tari
la nue s'est assombrie
la république des rats m'a banni
je suis l'enfant de la guerre

La vipère m'a en horreur
au lapin j'inspire frayeur
au campagnol des haut le coeur
lorsqu'elle me voit la mouette replonge dans les profondeurs
je suis l'enfant de la guerre

Je ne suis qu'un affreux petit bâtard
à qui du plus loin que l'on peut l'on jette des miettes de homard
aux processions je ne porterai pas l'étendard
je suis la lypre dans le douar
je suis l'enfant de la guerre

Lorsqu'elle m'aperçoit la mésange barricade son nid
de ses cils éternels l'aigle me toise avec mépris
le bouvreuil met un rideau à son huis
dans la cheminée le grillon cesse sa mélodie
je suis l'enfant de la guerre

A ma vue le cochon grogne de dépit
dans le désert la hyène glapit
dans la jungle bengalaise le tigre miaule de courroux
dans la savane africaine par son rugissement le lion me maudit
je suis l'enfant de la guerre

S'il me rencontre l'éléphant se casse une jambe
l'hippopotame devient sourd
la girafe a des incontinences
l'antilope est atteinte de stérilité
le rhinocéros parle la langue d'avant la tour de Babel
je suis l'enfant de la guerre

Beuglez, canons, beuglez
embrassez-vous, feux d'artifice nucléaires
si c'con d'Hitler...


Yann GUIREC
Champigny, le 7 septembre 1984

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