samedi 17 avril 2010

L'ESCARGOT

"La pulpe du frisson a givré sur mon coeur,
Vous me voyez hagard, livide et sans un son :
Mon palais sans salive est sorcier des moiteurs
Qu'écrasent mes foulées qui piétinent le son.

De mes institutions je suis le pâle esclave
Déjeté sans parole aux carreaux de l'ivresse :
Consciencieux flasque et mou je déverse ma bave
Pénétrant jusqu'au cou, bon amant de paresse.

Ma dame a ses raisons que la raison saccage,
Oisillone féconde en mésangins tracas
Qui me font mériter sans salaire des gages
Pour une peccadille à la barbe du la.

J'ai froid au corps, au coeur, aux linteaux et
aux vitres,
A la paternité qui me tourne le dos
Et je suis plein de sel et d'eau, plein comme une huître
Que l'on bourriche en vie, mauvaise histoire d'O...

La femme et la colère ont partie liée, fichtre !
Car si je ne m'abuse il nous restait cela.
Un curé alcoolique a dit à mon pupitre :
"Joue la sonate, prie ou adore et tais-toi !"

La surdité entend que lombrique le ver
Qui frétille joyeux, lui seul n'en rougit pas ;
Et grincent les anneaux de la poigne de fer
Sur la porte du drame à battants de fatras.

La tristesse insolite habite ma mémoire
Embuée du travail d'un bois qui n'en peut plus,
Car mon bagage tient dans une grande armoire
Où est capricorné de trous un vieux rébus.

Je suis pisté, joué, on me colle un message,
On fait de ma coquille une maison bourgeoise ;
On veut que je m'explique, on me somme, à la nage,
De promener par tout le papier ma toise.

Ma visite aux familles arrose en catastrophe
Les glaces gondolées des placards mitoyens ;
On m'a sonné : "Mission ! L'enfant qui philosophe
Voudrait t'apprivoiser pour deux jours, pour de rien."

Fainéant qui caresse où mordre est fatigant,
Je plastronne par feinte où fiente ma douleur
Et repus d'abandon, mon émoi prend des gants
Pour retenir ma plaie en cachant ma terreur.

"Que fais-tu donc" dit l'ogre "ici dans mon repère ?"
"Moi, je cherche un ami, pardonne cet écart ;
Je me cherche un pareil ou je me cherche un père,
Enfin je ne sais plus, je vis dans le brouillard..."

"L'aveugle est interdit au pays des eugènes
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Sans procès ni prétoire, sans inertie ni gêne
Je vais te manger cru et après te roter."

"Si rien ne perce ici que l'amour cannibale,
Que la force des rois, que le diable au désert,
Que la pension de glace où cafarde mon mal,
Mange-moi de pitié puis sieste et me digère."

L'ogre tout dégoûté méprisant tant de plaintes
Promit à l'escargot l'horrible châtiment
De le laisser tout seul en proie à cette astreinte
Qu'il maudissait, de vivre en si baveux tourments.

L'ogre s'est détourné, mais pour le moraliste
Un enfant tout rieur a jeté l'escargot
D'un geste de la main du mur où alpiniste,
Il avait lentement hissé son sac à dos.

Sous les pieds d'une lourde a craqué la coquille,
Le faste de ce pas l'a rendu toute chose,
On raconte partout que l'amour en naquit
Et qu'un très dur calvaire a couvé mille roses.

Julien Weinzaepflen

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire