samedi 17 avril 2010

LES DEUX DOUCEURS

C'était un enfant miniature,
Un enfant que l'on n'aimait pas :
Il avait l'âme si peu dure
Qu'il effrayait, ne plaisait pas.
Pourquoi faut-il que sur la terre
Seuls intéressent ceux qui battent
L'air du fouet de leur colère,
Tous les donneurs de coups de patte ?

On le sanglait à l'encolure,
On le tirait à hue, à dia,
On l'accablait même d'injures :
Il pleurait mais ne bronchait pas.
"Maman, si en me faisant mal,
Ta souffrance peut s'apaiser,
Je serai gentil, juste pâle,
Si tu voulais un peu m'aimer !"

Sa maman répondait : "Des claques,
Tu m'les brises avec ton amour !
C'est de la purée pour macaques,
Pour inactivé du tambour."
Pourquoi faut-il que sur la terre
Les caravanes bien remplies,
Indifférentes à la misère,
passent sans secourir autrui ?

Un jour qu'il sortait de l'école,
Un homme sale, au teint ribaud,
Qui s'asseyait dans les rigoles,
Regarda l'enfant sac à dos.
"Enfant des larmes sans parole,
Aimerais-tu me dire un mot ?
Je suis l'homme de la rigole,
J'ai déchiré mon paletot.

Mais j'ai de la force en ma fiole,
Elle s'est engourdie, c'est tout,
Si jamais tu me la racoles,
Je te l'offre, c'est un atout.
L'enfant trouva l'homme bien drôle,
Dégoûtant et couvert de boue,
Il ne voulut pas qu'il le frôle,
Il prit ses jambes à son cou.

L'homme savait qu'on apprivoise
Les petits princes qui ont peur,
Il ne se payait pas de phrases,
L'homme du bas avait du coeur.
Il revint dans cette rigole,
Mieux vêtu et plus proprement
Chaque fois que sortait d'école
Le malheureux petit enfant.

Longtemps, en faon qui se rappelle
Avoir été l'objet d'attaques
De parleurs autrement cruels,
Le petit s'en fut tout à trac.
Mais à force de patience
De cet homme peu ragoûtant,
L'enfant des peines eut confiance
En son ami des sombres temps.

Ils s'offrirent leurs deux douceurs,
L'une faible et qui se blottit
Comme un poussin fait sur le coeur
D'un enfant ému qui frémit ;
L'autre âpre et toute gaillarde
De s'être si longtemps tapie
Dans les trous à rat où lézardent
De chaque âge les incompris.

Ils se rendirent si heureux
Que par les bois toutes les fleurs
Et même les gens pour un peu
Exhalèrent les deux douceurs.

Julien Weinzaepflen

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