samedi 17 avril 2010

LA PETITE FILLE AUX TALONS

La petite fille aux talons tapa si fort sur le petit ballon du bout du fil qu'elle l'envoya voler en éclats sous la tunique des nuages.

Le petit ballon du bout du fil aimait si tendrement la petite fille à talons, qu'un seul coup de pied d'elle coupa ses ailes et le fit s'ébouler sous la coupole hostile des nuages choqués d'un cirque pareil.

Arrivé devant ces juges, le petit ballon du bout du fil voulut plaider la cause de la petite fille aux talons en poussant des soupirs pour que les nuages comprennent, mais les nuages, couperosés d'antiquité céleste et solennellement drapés dans leur robe acariâtre de Justice immanente, exemplaire, jusqu'auboutiste et et jusqu'au préjugé, allergique aux circonstances atténuantes, n'entendirent pas s'en laisser conter par LE charme crève-ballons d'une petite fille à talons.

Ce que voyant, le petit ballon du bout du fil fut bouleversé, et il la regretta encore plus fort, sa petite fille à talons, car bien qu'elle fût assommante à le faire crever, comme on venait de s'en apercevoir, il en était si épris qu'il caressait le moindre de ses élans capricieux et dominateurs d'une sujétion ensorcelée, qui l'épanouissait au dernier degré, l'émerveillait au dernier carra, parait d'or ses fantasmes qui étaient des bijoux, tout en torturant en surface la superficie plastique et les shakras de ses parois.

Résolue à une sévérité où elle oublierait tout à fait qu'elle était moelleuse à ses heures, et un bain de ciel amiotique, et que la coupable n'était qu'une petite fille, la corolle des nuages, tendue comme un jour d'orage, décréta sans balancer qu'elle allait, en toute sagesse et sans plus attendre, envoyer une averse de sa façon sur la petite fille à talons pour lui apprendre un peu à crever les ballons et, aussitôt dit, aussitôt fait, cette sentence, prononcée après comparution immédiate, fut exécutée sans sommation.

Or, au moment où les premières goûtes commençaient de tomber sur le ravissant visage de la petite fille aux talons, voyant qu'elle n'avait plus son ballon amoureux pour faire des risettes dans ses boucles d'or, la petite fille à talons abandonna toute sa rieuse espièglerie pour sombrer dans un abattement qui lui tira des larmes, plus grosses et roulant par terre que celles de crocodile qu'elle versait d'ordinaire, quand le petit ballon du bout du fil paraisait différer de quelques instans à satisfaire ses caprices, qu'avaient expressément exprimés sa petite voix tyrannique à la volonté farouche, après quoi, moins insupportable qu'adorable en ses irrésistibles ostentations d'autorité de reine obéie, elle tapait de ses petits talons de fée ses quatre mignonnes volontés. Et toujours le ballon se rendait.

Mais plus chargées aussi étaient à présent les larmes qui l'éploraient que les gouttelettes de pluie punitives qui s'abattaient sur elle, mais s'évaporaient, à peine avaient-elles effleuré le ravissant visage, tandis que dans le petit coeur gros de la petite fille à talons, qui n'était qu'une poupée de porcelaine et qu'hors le ballon du bout du fil, personne ne savait fragile, venait de prendre naissance le premier gros chagrin de sa vie, qui n'en serait jamais délogé, quelque mémoire qu'elle en gardât, car c'était un chagrin d'amour.

La pluie tomba à point nommé pour mêler dans les yeux mouillés de la petite fille à talons l'eau rigoureuse des colères du ciel. Le perle bleutées de ses paupières aguicheuses était ravagé de poussière. La petite fille aux talons devait en toute hâte rentrer chez elle pour ne pas essuyer, après les eaux d'imprécation, les reproches pérorés par sa mère suffoquée d'exaspération par ses retards de chaque soir, après le retour du jeu. Elle s'essuyait les yeux pour s'éclairer quand elle reçut le dernier baiser que put lui envoyer du ciel le petit ballon du bout du fil, avant de devenir invisible pour ses yeux.

La petite fille à talons en était toute remuée, tandis qu'elle claquait son petit pas sec et décidé sur la route qui la faisait regagner sa maison. Le petit ballon du bout du fil ne cessa jamais d'aimer, même et surtout déchaussée, sa petite fille à talons, et ne lui tint jamais rigueur de ce qu'elle eût été si cruelle pour lui qu'il en était crevé pour la vie du bas monde et du bas-ventre, pour la vie où tous les ballons claquent, même ceux qui portent des messages de paix et où les coeurs, faute de persévérance, abandonnent la partie d'amour pour le compromis des parties fines.

Pour rendre heureuse son amour platonique de petites filles à talons plats qui galochaient le silence de coups durs qui l'avaient fait frémir au plus sensible du désir, le petit ballon du bout du fil obtint de la corole des nuages apaisée après qu'elle eut coulé tout son saoûl, permission de s'enfouir à tout jamais dans le coeur de sa fée, qui ne se souvint presque jamais de ce ballon enrôlé qu'en de rares nuits de détresse où elle étouffait sous les trop violentes caresses, qui étaient des indélicatesses, d'amants habitués à aimer en acte et sans vérité, dont la pénétrante maîtrise avait congédié la sublime tendresses.

Mais le ballon du fil enfoui la protégea dedans son coeur de bien-aimée même infidèle d'être trop cruèlement atteinte par les brutalités passionnées de ses amants possessifs et, de ses prévenances amoureuses et cachées, possédé d'elle en une éternité où l'amour est conservé à blanc, il la parfumait de charme, la gâtait et la gardaient belle au milieu d'un bonheur dont il veilla qu'il fût son lot et qu'elle le sentît toujours bien davantage qu'elle ne le fît.

Julien Weinzaepflen

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