LE REGARD ET LE VENT
"C'est
après que j'ai lu ce livre du Roi des Juifs sur le sens du vent"
(Marguerite Duras, Les enfants).
I.
Le Vent : "Tu
n'as pas l'air content de me voir !"
Le Regard :
"Et comment le serais-je ? Tu me fais baisser les yeux !"
Le Vent :
"C'est pour que tu ne me voies pas, mon enfant..".
Le Regard :
"Tu te prends pour le grand méchant loup, peut-être ?"
Le Vent :
"Pourquoi pas ?"
Le Regard :
"C'est vrai que tes razzias ne laissent rien enplace, et tes rafales
hurlent à la mort dans la forêt lointaine, perdue d'appréhension. Tu a les
chaleurs de l'appétit du loup, et tu couvres ses hurlements."
Le Vent : "Me
prendrais-tu au mot? Je ne suis pas primaire. Je pense à différents degrés.
J'ai des emportements autrement plus machiavéliques.
Je
ne t'ai parlé du grand méchant loup
que parce que j'ai des boutades de
girouette, des contes pleins la tête et que je suis subtilement poète.
Je
ne fais pas de prose sans le savoir ni de vers sans en avoir l'air, mais je
brasse de l'air, ça oui ! Tu
n'avais pas remarqué ?"
Le regard :
"Et moi, je broie du noir, à qui la faute ? Si seulement je pouvais
te bouffer des yeux..."
Il
n'y aurait plus toi et moi, deux énergies incompatibles dans un univers de
courants d'air :
il
n'y aurait plus que moi, force tranquille dans le cosmos unifié..."
Le Vent :
"Tu m'en veux donc tant que ça ?"
Le Regard :
"Ca crève les yeux ! Et je t'en voudrais plus, si je pouvais, mais il
n'y a pas d'affinités entre toi et moi. Je ne peux même pas t'en vouloir :
on n'est pas fait l'un pour l'autre.
Je
ne veux pas du tout de toi, tu crèves l'écran !
Toi
et moi, on ne mange pas dans la même gamelle, on n'est pas DES copains de
chantier, on n'a pas élevé les cochons ensemble, et tu ramènes tant d'effluves
olfactives nauséabondes des porcheries où tu vas manger ce qui te reste de
crainte religieuse et de révérence gardée que, non seulement tu encours les
blâmes de l'Islam qui n'aime pas qu'on mange du porc, mais tu me brouilles
l'écoute à moi, le Regard !"
Le Vent :
"Mais c'est que tu as des mots épais comme le brouillard !"
Le Regard :
"Tu me pardonneras, ce n'est pas un mot très fin en effet, mais je parle à
différents niveaux comme tu penses à différents degrés, et pourquoi
prendrais-je mes yeux de velours pour contrepéter avec un sans-gêne tel que
toi, qui tapes sur les nerfs de la terre avec ton souffle de
brise-les-moi ?"
Le Vent :
"Où veux-tu en venir ?"
Le Regard :
"Pourquoi es-tu venu ?
Ton
souffle est le tapage nocturne de la terre et tu me fends les yeux, voilà où je
veux en venir : Tu me fais baiser la terre des yeux.
J'aurai
tout vu, mais en arriver là quand-même... Etre enterré jusqu'à baisser les
yeux, les baisser jusqu'à baiser la terre, les poser sur elle qui s'écarquille
sous eux, qui s'ouvre et qui se ferme comme une femme heureuse d'être regardée
nue, mais qui n'en accumule pas moins de la poussière pour mes yeux, parce que
je n'ai pas le droit d'y voir aussi clair ! qui s'empoussière comme
d'autres accumulent des mensonges à dormir debout, et qui se pulvérise et
s'oublie dans mes yeux, et qui oublie - j'espère que c'est
involontaire - que, quand mes yeux ont de la poussière en eux, je n'y voie plus rien, moi ! Je ne distingue
plus le vrai du faux.Mon strabisme s'accentue dans la louche connivence entre
la vie et la mort de mes yeux devenus
poussière dans le ventre de la terre, qui est louche aussi... Car la terre,
prédite à l'apocalypse, est en connivence avec la volonté de pulvériser.
Mes
yeux labourent la terre en y entrant et, en étant oubliée par elle, s'écaillent
en cendres qu'elle digère, qui l'engraissent.
La
terre est complice de toutes les forces, hors celle qui lui fout la paix.
J'aurai
tout vu : manger la terre des yeux et les voir absorber par son ventre,
comme si je pouvais baiser, moi, de qui l'acte n'est pas en la puissance ;
comme si je pouvais germer, moi qui ne suis, en ma qualité de regard, qu'un
désir platonique d'ancrer, dans ma tension vers l'inconnu, les vérités
éternelles que j'embrasse en les découvrant !
Je
les embrasse, car on embrasse du regard, mais je ne peux pas les baiser, car je
suis impuissant.
Je
suis baisé par les vérités éternelles qui sont sans avidité de moi. Elles me
tuent en m'empêchant de sortir d'elles !
Et
toi tu viens, tu les envahis et elles te veulent. Tu es sans délicatesse et
elles veulent que tu les violes. Elles te volent parce que tu es sensationnel,
mais en attendant, c'est toi qui me voles à elles et toi encore qui les voles à
moi.
Qu'est-ce
donc que ce septième ciel où tu les enlèves ? Il n'y a qu'un ciel, et
c'est elles qui le sont. Et toi, tu viens, tout mouvement, toute violence, tout
bouleverser. Tu les prends et elles te veulent.
Elles
bénissent l'instant magique où tu les as violées, toi qui les fais voler et,
moi qui leur suis fidèle, elles me
trouvent rabat-joie et elles m'oublient pour toi, qui les as prises par
distraction.
Ca
jette un froid, quand la lumière s'éteint. Tu m'éteins, j'ai froid aux yeux, il
y a une panne de courant entre la terre, les vérités éternelles et moi, et tout
tâtonne dans la nuit parce que la bourrasque passe."
Le
Vent : "Et je suis la bourrasque, et j'entre sans frapper, et je viens sans prévenir, et je ne veux en
venir nulle part, et puis après ? Il n'y a pas de mal à ça, il y a plutôt
de quoi en être fier.
Je
rends heureux, pas toi. Il ne faut être fier que si l'on rend heureux. Juste
connaître quand on ne naît pas à ce qu'on découvre, juste savoir pour savoir et
parce qu'on a vu, cela ne rend heureux, ni ce qui est connu, ni ce qui a vu.
Tout juste est-on heureux de voir ou d'avoir vu.
Moi,
quand je passe, à chaque fois, je renais. Je meurs aussitôt après. Je me
convertis à l'éphémère, ce qui me préserve de mettre de la cohérence entre mes
différentes conversions, par où je serais engagé pour toujours envers ce qui
m'a un jour enflammé d'amour. Or, que devient la flamme après la
combustion ? Un souvenir, et puis une grande sécheresse, non pas à
l'endroit du souvenir, mais là où cela a brûlé.
Je
ne suis pas compartimenté, je m'intéresse à chaque fois pleinement à ce que je
suis venu visiter, et je suis réellement traversé par ce que je viens
bouleverser.
Toute
conversion n'est qu'un feu de pailles. J'ai de vagues halos de souvenirs, mais
je ne tiens pas à empailler chacune de mes nouvelles naissances. Ma mémoire ne les enregistre pas. Elles
s'effacent, et ils ne reste sur la bande qu'un tremblement clapotant, qui
vaguement me rappelle :
"Il y a eu quelque
chose d'enregistré avant, mais quoi ?"
Je
repasse la bande, je reviens sur les lieux : l'enregistrement est
inaudible, le paysage a changé. Cela vaut mieux !
Tu
te rends compte ? J'aurais dû construire une cohérence par rapport à ce à
quoi je me serais converti et qui n'a pas lui-même eu la cohérence de rester
inchangé ? J'aurais dû me convertir à du mouvant, m'allier à du changeant,
et donner ma foi pour l'éternité à de
l'impermanent. Je fais acte d'amitié, car on peut rester ami avec quelqu'un
qu'on ne voit plus, mais je ne fais que passer, j'y tiens.
Je
ne suis pas un ange. Il y a trop d'anges qui passent autour de toi. Je me méfie
des anges, ils sont trop conservateurs. Je n'aime pas le silence qui rôde
autour de toi. Regarder n'est rien pour toi, garder seul est le but. Le silence s'ensuit, s'installe, qui érode
les caves. Tu es l'église du silence, je suis le dynamisme créateur.
Le
silence est un gâchis pour la création empâtée. Le silence gâche et favorise
l'angoisse. La prière est cernée des mythes victorieux. Je n'aime pas le
silence qui rôde à proximité de ta prière. Ce silence me fait peur,
m'angoisse, cauchemard dans la nuit
tâtonnante et le noir, me met atmosphériquement sous pression.
Et,
comme je suis une variation de pression atmosphérique, je nais de ce silence.
Je nais du refus de cette réponse non donnée, de ce dialogue non établi, de
cette incommunicabilité entretenue.
Et toi aussi, je me
méfie de toi, à cause de ton silence qui me fait naître. Je n'ai pas voulu
naître. Je suis en guerre ouverte contre moi. Aussi, je suis en guerre ouverte
contre toi, et ce n'est pas seulement parce que j'ai dû naître à cause de toi,
encore que je ne sois pas né de toi : mais tu es tout le contraire de moi,
et le Vent n'aime pas les vents contraires. Je suis un souffle qui décoiffe et
tu n'es qu'une perspective d'ébahissement.
Peut-être
que ça jette un froid sur tes yeux,
quand la lumière s'éteint, car, quand je m'emporte, ce sont des grains
de grêle que je fais retentir sur les toits, et il n'est pas rare que la grêle
coupe le courant. Mais il n'y a que du silence dans ta façon à toi d'appréhender
les choses, d'entrer sans les toucher en contact avec elles, et le silence, vois-tu ? Ça glace de
l'intérieur.
C'a
beau se vouloir bienveillant, juste une façon de respecter ce qu'on regarde,
ç'a beau vouloir ne pas juger, ça n'en jette pas moins l'effroi, c'est aussi
terrorisant que la terre peut être pulvérisante.
Celui
qui se sent épié, sous le regard, ses jambes flageolent, elles le portent de
travers, il n'est plus sûr de ses réflexes, il pique un fard, il anticipe la
désapprobation du jugement qui le surveille et il se trompe : il fait mal,
il fait de travers ce qu'il réussit immanquablement d'habitude.
Tu
surveilles ce dont tu anticipes la chute, mais
ta contemplation est sournoise : tu étais pourtant plein de bonnes
intentions, tu surveillais le flageolant
parce que tu ne voulais pas qu'il tombe et quand il est tombé, tu n'as pas
élevé la voix, tu ne lui as fait aucun reproche, tu as gardé un silence gêné et
comme réticent, tu ne l'as pas dénoncé à la police des réflexes, mais tu ne l'en
as pas moins entraîné dans l'erreur et fait tomber dans l'égarement, parce que
tu l'as préempté avec un silence lourd de commentaires, au cas où... Et ce que
tu as prévu ne manque jamais d'arriver. Il n'y a pas de cas qui puisse
s'excepter à tes généralités.
Je
comprends la réticence de l'aveugle, qui est opposé à toi bien plus qu'il ne se
sent privé de toi.
Ses
pas hésitent. Par délicatesse, tu ne
viens pas à sonsecours, au cas où ton aide l'indisposerait. Mais tu sais très
bien qu'il va cogner contre l'obstacle. Est-ce qu'un enfant, ça ne tombe pas ? Ça ne sait faire que ça,
un enfant, de tomber.
L'aveugle
est un enfant qui tombe, tu ne le lui dis pas, mais tu lui demandes de prouver
qu'il est capable de ne pas tomber, comme tu exiges de l'enfant qu'il fasse ses
premiers pas sans avoir à se reprendre. Et quand il tombe quand même, comme tu
l'avais prévu, ta discrétion t'empêche de lui rappeler que tu avais vu juste,
qu'il devait tomber, selon ta prévision. C'était dans l'ordre, mais tu le
désapprouves, car il n'a pas su prouver.
Tu
désapprouves en faisant peser autour de toi, autour de lui, le silence qui
commente, avec quoi l'on fait des murs mités, où la parole est contenue,
cimentée dans le non-dit qui fait les secrets de famille et leurs révélations
atroces.
L'aveugle
ne se laisse pas faire. C'est pourquoi il est presque toujours atteint d'une
folie de paroles. Il nimbe la terre de paroles, il peuple le monde du silence
parce qu'il veut les habiter, le monde et la terre, quand tu te contentes quant
à toi de les contenir. Que la terre sera glauque dans ta sphère !
L'aveugle
la peuple de paroles, il y sème des enfants-mots, qui feront tomber autant
d'obstacles. Il marche avec le langage. Il carbure aux sons qui sondent, qui
expliquent, qui rassurent. Comme on va loin avec les mots !
Mais
la terre souffre sous ton aire. Tu la contiens en miniature et non pas en
puissance, comme tu le crois. Car que fera la terre si tu l'exorbites ?
N'aimant pas la caricature en laquelle tu la figes, rétractée, elle te cassera
les yeux de sa masse en majesté, et elle retournera à ses affaires de tour à
bois qui tourne bien, et tourne plus rond sans toi que si tu t'en mêles, que si
tu l'examines, pour lui attribuer une mention très honorable sur ton échelle de
valeurs intentionnelles.
Tu
veux contempler sans rien dire, mais tu ne peux te retenir de commenter et
d'attribuer, de ton petit air définitif de docteur attentif, des
valeurs-repères, dogmes derrière lesquels on regarde la vérité en face, qui est
inoffensive, bien qu'elle ne corresponde pas aux valeurs qu'on lui attribue. Ce
que tu découvres te surprend tellement...
Tu
voudrais bien, dans ton for intérieur, resté pur et muet, rester sur cette
surprise, être délicieusement pris par surprise à ce qui se montre délictueusement
à toi si différent dece que tu en attendais, être pris par et avoir part à.
Seulement
tu voudrais trouver un élément de comparaison pour te retenir. Ce qui t'a pris
par surprise t'oblige à lâcher prises et tu ne peux te retenir, pour t'y accoutumer, de te déclarer par
rapport à ce qui entre dans ta sphère, d'attribuer des valeurs intentionnelles
à ce qui a existé avant toi. Or, comme ce qui a existé avant toi jouit d'une
antériorité qui te fait tenir un complexe d'infériorité ; comme aussi ce
qui t'entre dans les yeux t'en met plein la vue, la valeur que tu lui attribues
n'est pas seulement fausse parce que tu n'es pas maître d'une intention qui
avant toi était, mais elle est inconsciemment péjorative parce que tu as une
revanche à prendre.
comme
si ce que tu contemples pouvait entrer en toi : tu n'en fais qu'une
caricature tragiquement figée, car ce que tu regardes est plus puissant que
toi. Il te dépasse et tu es trop borné pour te laisser déborder, par ce que tu
veux moins apprivoiser que protéger en l'engloutissant, asservir en le gardant,
préserver en l'engourdissant.
Du
reste apprivoiser, c'est moins créer des liens qu'habituer ce qu'on apprivoise
à ce qu'on est une réalité inacceptable aussi bien qu'inabordable, et malgré
cela exercer une emprise sur sa pureté qui ne nous regarde pas. C'est tout le
ressort de la séduction, que de faire oublier qu'on n'en vaut pas la peine, et
tout le secret de l'amour, d'emboîter et de faire tenir ensemble deux mystères
inacceptables l'un par l'autre.
Tout
ce qui est autre est pur. Tout ce qu'on apprivoise, tout ce qu'on emprisonne,
est délabré.
Tu
dis que je bats la terre de mon souffle, toi tu ne laisses pas se débattre tout
ce que tu fixes en l'enfonçant dans tes cavités. Tu es la prison, moi je suis
la fenêtre ouverte. Mais tu es indolore, moi je suis désagréablement perçant.
Les
fenêtres ne surveillent pas les enfants pour montrer du doigt leurs bêtises.
Les fenêtres ne sont là pour punir que parce qu'il y a quelqu'un derrière pour
y regarder. Par elles-mêmes, elles n'ont pas de morale, elles ne connaissent
pas de monstres : elles montrent tout et s'arrêtent là.
Les
fenêtres aèrent. J'aère la terre."
Le Regard :
"Tu mens ! La terre n'est pas aérée. La terre est battue, et tu veux
instruire mon procès. Mais je n'ai rien à me reprocher, ni de leçon à recevoir
de toi, car mieux vaut pleurer comme moi que frapper comme toi.
Tu crois excuser ta
violence en disant qu'un huis clos, c'est un nid à rancoeurs ? Tu ne peux
pas me tromper, moi ! Je t'ai dévisagé."
Le Vent :
"Tu as tort, j'aère la terre. Je ne la bats pas, à moins qu'elle ne me
demande, pour se laver de tes larmes maculées de poussière, de passer
l'aspirateur.
Tu crois que la terre n'est pas aérée ? C'est parce que tu la
regardes et que tu ne la renifles pas, t'octroyant le premier rang parmi les
cinq sens et extirpant l'inspiration du descriptif, parce que tu ne peux pas
garder l'air de manière qu'il se coule en toi : l'air est tout à fait
indifférent à tes larmes, de même qu'à tes larmes, il est tout à fait
indifférent que j'aie peur du silence qui expire dans ta prière.
L'air
ne fait pas partie de ta zone énergétique d'activité, qui ne rêve que statique
statuaire et sédimentation stalactisante.
Tu
ne peux jamais respirer le même air, parce que l'air ne se reproduit jamais. Il
n'est pas comme toi qui te reproduis parce qu'outre l'acte de virilité par
lequel tu voudrais t'inséminer dans la terre comme dans tout ce que tu as
enfermé dans ta sphère orbitale, tu veux narcissiquement faire de tes enfants
tout ce que tu n'es pas toi-même. Tu en fais, à l'identique, les enjeux de tous
tes refoulements. Tu n'es qu'un écrasement de fausse douceur.
Tu
voudrais statiquement adhérer à ce que tu regardes en le faisant statuairement
adhérer à toi, tu voudrais ne pas le juger, or tu es le juge et la prison. Tu
es la geôle enjôleuse. Mais la Vie n'aime pas ton genre de fécondation qui ne
la multiplie pas, mais te multiplie par elle.
D'ailleurs,
la vie coule-t-elle dans tes yeux ? Irrigue-t-elle tes veinules comme
fleuve la sève dans un corps arrosé ? T'ouvre-t-elle l'appétit comme, à
l'orée de l'oesophage, elle annonce par des étranglements de ventre que le
corps a faim ; comme, à la lisière du bois, le loup se signale ?
La
vie veut te juger à tes fruits ! Je
suis un des fruits de ton enfantement, moi, le Vent, et tu ne m'aimes pas, tu
ne me reconnais pas, et non seulement
tu n'as pas désiré ma venue, mais tu n'as pas soupçonné que tu me
mettais au monde.
Et
les fruits de ton for intérieur sont des larmes. Tes yeux ne s'ouvrent que pour
pleurer d'apitoiement ou dans le tremblement qu'on les prenne à voir, et que
balbutierais-tu si, les démasquant, on te traitait de voyeur ?
Par-dessus
tout, tu n'enfantes pas, quand tu le
voudrais. Tu entoures l'essence des images, tu fais des images des enfants de
tes larmes. Le bonheur te foudroierait ! C'est pourquoi tu le différencies
du coup de foudre et tu l'enfermes dans des béatitudes, avec parole qu'elles
seront tenues, quand tout sera achevé et pupille de ta contenance universelle.
Mais avant cela, toute joie est anathème : il faut pleurer dans la vallée
de larmes.
Par
le genre de reproduction que tu cernes, tu sommes la vie de te donner en
nourrice ce qu'elle allaite naturellement de ses propres mamelles.
A
bien y réfléchir, je te dirais, si j'osais, qu'ayant parcouru tant de pays et
soufflé sur tant de familles, ce sont peut-être les mamans de Calcutta qui ont
raison. Se sachant trop pauvres pour élever les enfants qu'elles ont mis au
monde avec irresponsabilité, elles les laissent grandir sans autre tuteur que
la débrouille et l'affection de ceux qui les adoptent.
La
parentalité véritable n'est qu'adoptive.
Elle adopte la différence irréductible de l'enfant qui ne lui est
rattaché, quand il est sien ou présumé tel, que par les fils génétiques de la
télépathie générale. Dieu ne dit-Il pas à l'homme qu'il est son enfant adoptif
?
Si
tu n'aimes pas - et tu n'aimes pas si tu couches en toi -, à quoi te
sert la biologie de ta photogenèse, qui classe les enfants dans ton album de
toises pour attester qu'à tes yeux, ils ne sont pas à la hauteur, à la hauteur
de la vie que tu voudrais bien leur avoir donnée, qui s'est solidifiée dans ton
iris et qui ne peut couler librement qu'en dehors de toi, parce que tu voudrais
en être le goulot qui décides, avec ton bec verseur, de quand tu la donnes et
quand tu mets le bouchon dessus sa fiole d'envoûtement.
Le Regard :
"Mais tu ne peux pas connaître toute la vie. Tu ne peux parler en son nom
qu'autant qu'elle t'a chargé de le faire, avec des paroles qui s'envolent.
Je
ne me reconnais pas ta paternité, je ne t'ai pasengendré. Car, si je l'avais
fait, je serais capable d'inséminer la terre et certes alors, je ne le nie pas :
il serait possible que je t'eusse enfanté en ne le sachant pas. Je serais alors
présumé te l'avoir donnée, mais il se trouve que, si tu l'as reçue de moi,
c'est que tu me l'as prise en me niant, dans la seule volonté de ne pas me
ressembler. Tu m'as tué avant que j'aie eu le temps de te reconnaître.
En
ce sens, si jamais tu as reçu la vie de moi, tu l'as reçu comme le diable
renégat l'a reçu du Dieu des contemplations.
Et
tu voudrais me faire passer pour moins présente à mes enfants qu'une maman de
Calcutta... Je ne sais pas si je peux enfanter. J'accepte d'autant plus ton
diagnostic de mon impuissance que c'est à toi que je la dois. Mais, si tant est
que des enfants puissent tomber de l'Arbre du Regard, ils ne seraient pas
abandonnés, oh non !
Je
les couverais de mon attention permanente en ménageant des fenêtres dans la
terre que je creuserais, puisque tu ne l'aères pas. Je préviendrais toutes
leurs chutes. Je leur dirais :
"Attention, Tu vas
tomber ! Mais je leur laisserais la liberté de leur chute. Je ne serais
pas possessif. Et, quand ils seraient tombés, je leur dirais peut-être :
"Tu vois ?"
Mais je n'insisterais pas,
je les pardonnerais, les soignerais et les guérirais...
Passons
maintenant à ce que la vie t'a dit d'elle:
La vie, certes, tu la
promènes et d'ailleurs, elle a tort de se laisser rouler dans cette
poussette-là ; mais la vie, ne t'y trompe pas, passe aussi par moi. Elle
aime autant les docteurs qui soignent que ceux qui diagnostiquent et se
réjouissent des maladies qui abandonnent à leurs propres forces les enfants
qu'elle décime en les envoyant promener.
La
vie n'aime la maladie que parce qu'elle
est joueuse, mais, de sa nature viscérale et profonde, elle aime la spéculation
qui concilie ses forces, qui l'unifie dans un tout médical médité.
Nous
sommes deux courants qui portons la vie. Elle est notre préoccupation commune,
nous coexistons en elle. Tu l'amuses et je l'étudie. Or comment celui qui
l'amuse pourrait-il donner des leçons à celui qui l'étudie ? Il n'y a
aucun enseignement à tirer du joueur ni du jeu, qui ne fait des règles que pour
se divertir. Que chacun de nous reste à sa place : c'est à moi de trouver,
puis de donner les règles !
Or, ce que j'en
dis, c'est que, si nous sommes deux courants, toi, tu n'es que celui qui
l'emporte et l'enivre alors que moi, si peut-être je n'enfante pas, du moins je
la porte et ne manque jamais la mission qui m'est impartie, qui est de relier
l'un à l'autre deux éléments qui se cherchent.
Ils
se cherchent, ils veulent serencontrer, je les présente l'un à l'autre, je les
fais se connaître et se voir. Je trace une ligne entre eux dans la télépathie
générale. Leurs yeux se fixent et leurs pensées se mêlent. La vie a trouvé lit
où sourdre et se résoudre. La vie aime passer par moi, qui la rends
harmonieuse.
Je
ne dis pas qu'elle n'aime pas aussi emprunter quelquefois ton souffle survolté
pour aller s'oublier, canaille, dans la mer des naufrages. Je lui pardonne
tout, pourvu qu'elle me revienne.
Je
veux bien que tu sois, moins couramment que moi, mais plus visiblement, courant
aussi à ta manière et courant enivrant. Mais d'où vient que toi, tu ne veuilles
pas que nous coexistions pacifiquement et qu'à défaut d'enfanter l'un et
l'autre, nous portions la vie où elle veut ?
Est-ce
que je te juge, moi ? Pourtant, je le pourrais. Je suis celui qui étudie,
et c'est à celui qui étudie de juger, de donner des leçons, d'attribuer des valeurs et des notes. Je
pourrais t'évaluer, mais je te laisse griser la vie en ligne brisée, parce
qu'elle trouve gris et stagnant le cours que j'offre dans la permanence à sa
source jaillissante. Je sais que je ne suis pas gai. Aussi, je la laisse
prendre maîtresse. Tu es la maîtresse de la vie, sa passion, sa distraction,
son apocalypse atmosphérique, et je suis son courant légitime. Ne suis-je pas
magnanime ?
J'aimerais
être le tout de la vie, mais je vois bien que je ne lui suffis pas. Aussi, je
laisse notre coexistence être ce qu'elle est, et je te laisse souffler à côté
de ma fixité, parce qu'il n'est rien tant que je recherche que la paix des
ménages. Faisons la paix !"
II.
Le Vent : "Je
vois que tu me fais des avances et les yeux doux. Je n'en suis pas fâché, mais
il faut envisager sérieusement la situation.
Tu parles de
coexistence et tu voudrais la paix. Illusion ! Tu es bien l'éternel Abel
qui bêle, mais qui n'est plus en vie ! L'air n'est pas une paix, l'air
n'est qu'une calamité de souffle et de bruit.
Tu voudrais emplir tes yeux du vent de l'être
pour te gargariser de paix. Tu n'auras droit, même après ta mort, qu'à une paix
passerelle, une paix mouvante, une paix bruissante d'émotions en contrastes.
Je
ne suis qu'un concentré d'émotion gonflées en bruit.
Il
faudrait m'écrire en soufflant, me lire avec du bruit.
Je
ne suis qu'un bruit de gonflement, qu'un bruit de paix, car la paix n'est pas
dégonflée, c'est la soeur cadette de la tempête comme Abel est le petit frère
de Caïn.
Abel
en bêlant, à faire enrager son frère qui l'a tué.
Abel
est aux arrêts du regret, mais n'est plus en vie, il n'est plus.
La
paix est armée, je ne suis qu'un bruit et tu n'es qu'un silence, à faire hurler
les ombres à la mort, à la mort de la peur.
Pourtant
crois-moi : le souffle dans lequel il faudrait écrire ma paix ne devrait
pas souffler ta bougie et n'est pas fait pour l'éteindre. Et ce n'est pas
seulement parce que je n'aime pas du tout les anniversaires. Mais si mon
souffle t'éteint, c'est que tu cherchais autre chose et voyeur, cet autre chose
que tu voulais rendre captif est pervers.
Je
te parle d'écrire mon souffle, mais que
sais-tu d'écrire ou de peindre ? Tu ne sais pas écrire, tu ne sais pas
peindre, tu ne sais que décrire et dépeindre. Car pour écrire, il faut avoir du
souffle !
Les
mots que tu emploies ne sont pas messagers, ils ne sont pas des anges, ils ne
portent pas, ils ne passent pas :
on
saute les descriptions. Elles n'apportent que la lumière, elles ne portent
aucune nouvelle. Elles ne transforment pas la matière en nouveauté.
Elles
ressemblent au silence parce que tu ne te
mets pas les mots en bouche, tu ne les prononces pas avec ta gorge, de
crainte qu'en se moquant, l'on répande partout que tu as un bel organe... de
déglutition.
Restant
muet, tu ne peux te séduire avec ta propre voix, de sorte que tes mots
n'habitent pas la réalité qu'ils décrivent, ne se métamorphosent pas en elle,
ne la métamorphosent pas en eux, ne la transcendent pas.
Ils
ne l'enfantent pas. Ils ne la transcendent pas, elle ne les pratique pas, car
tu n'as jamais désiré nommer ce que tu t'es contenté de vouloir t'approprier en
approvisionnant ton garde-manger, qui veut manger des yeux.
Tu
n'as jamais désiré nommer ce que tu regardais, comme tu n'as pas voulu que je
vienne au monde.
Tous
ses phénomènes se sont produits en dehors de ta volonté, et qu'est-ce qui
convient mieux aux phénomènes que la phénoménologie ?
Il
faut les décrire, le plus fidèlement possible. Il faut revenir aux choses mêmes
pour les dépeindre. C'est ce que tu sais faire, avec des mots qui ne passent
pas l'imagination, mais par-dessus lesquels on passe, qu'on saute, parce qu'ils
n'ont pas de souffle, ils ne transpirent pas l'Etre. La paix ne passe pas
l'Etre.
Moi,
le Vent, je ne me fâche pas avec les éléments. Je suis l'auxiliaire de la mer.
Je dépasse les réalités que je ne regarde pas ni ne conserve, parce que leurs
secrets ne me regardent pas ni ne me concerne. Je m'imprime d'elles et je les
imprègne après les avoir écoutées.
Je
les écoute dans l'ombre de silence qui me sert de post-annonciateur, car elle
suit chacune de mes rafales. J'imprègne toujours a posteriori. J'ai une écoute
bruyante. Je laisse le souvenir de ce que j'ai mis en lumière, dans la peur que
j'ai inspirée à tort. Mon passage fait sortir l'essentiel, solidement gardé
dans la carapace de l'immobilité. Je ne suis qu'un événement libératoire.
Ceux
qui me dénigrent croient que je viens pour tout balayer ou secouer. En fait, je
ne laisse le souvenir que de ce que j'ai écouté, mais je n'allonge pas ce que
j'n'écoute pas sur des divans d'assoupissement qui font du vent avec des mots
plus ou moins plaisantins, des plaisanteries comme "Witz",
"Witz" !
Je
suscite une réaction, comme si j'étais la métaphore du destin, et c'est cette
réaction qui brise les chaînes d'ensevelissement de la mémoire."
Le Regard :
"C'est-à-dire que tu essouffles !
Tu te dis
représentant de l'Etre et certes, si tu l'es, la Paix ne passe pas l'Etre. Mais
je ne crois pas que l'Etre ait du souffle, car souffler n'est pas jouer et s'il
est vrai que la vie souffle quelquefois ceux dont elle se joue, elle n'est pas
joueuse en général. Elle ne s'enivre qu'à l'occasion. Dans l'aquarium de mes
larmes, il est rare qu'elle avale trop d'air.
Je
conviens que je ne sais pas écrire, mais je ne suis pas convaincu qu'écrire
n'ajoutant rien, procède d'une nécessité. Je consens qu'écrire ait la dignité
d'un acte et qu'agir ne soit pas en ma puissance ; mais le Verbe n'a pas
écrit : Il a dit et ce qu'Il voulait s'est accompli. Ecrire n'accomplit
pas, écrire ne fait que protester, que crier hors.
Ecrire
pose l'être essoufflé dans une éternité de substitution, dont la dimension est
indigne de lui.
Il
n'est pas tellement primordial qu'il faille du souffle pour écrire. Le problème
est plutôt qu'il faille écrire consécutivement à ce que quelque chose ait
essoufflé. Ecrire relève d'une tentative faite par l'être essoufflé pour
reprendre haleine. D'où le souffle surprenant qui se dégage d'écrire, comme un
jaillissement qui fait mal.
Je
ne crois pas d'autre part que tu écoutes jamais rien. Tu te donnes le beau rôle
(c'est bien aimable à toi et pour toi), en te présentant comme un événement
libératoire. Ce que tu fais n'est pas libérer, c'est mettre
sens-dessus-dessous. C'est, après que les premiers hommes, au lieu de les
regarder, ont cueilli les fruits des premiers arbres, affoler les feuilles qui
leur servaient de vêtement et les mettre à nu, en faire des sans abris, des
sans maison qui ne savent où se cacher.
Tu
ne sais pas écouter, il n'y a que mes larmes qui égouttent. L'œil écoute.
Ecouter,
comment le pourrais-tu d'ailleurs ? On ne peut pas te jeter la pierre , on
ne t'a pas appris le silence, ni à écrire sur le sable ; on ne t'a pas
enseigné à écouter, on ne t'a rien appris du tout.
C'est
que ventre affamé n'a pas d'oreilles et tu n'es qu'un gueux mourant de
faim : je peux te consoler, mes larmes sont là. Mes larmes sont la
consolations de l'âme des affligés.
Je
t'ai affligé, ô Vent, mon âme ! Viens, je vais te consoler. Oui, mon coup
a porté, car il n'y a pas que toi qui saches être rhéteur, mais viens : je
vais sécher les yeux de ton souffle.
Je
t'ai affligé, j'espère...
Tu
ne pourras pas m'en garder rancune : je vais te consoler, tout va rentrer
dans l'ordre...
Tu
as faim. Tu vas manger dans les porcheries, je le sais.
je
ne dis pas que ta digestion pue. Console-toi, je ne le dis pas. Il n'y a guère
que quand tu transportes les effluves des usines chimiques que tu gênes les
riverains, mais tu es une commère ambulante tout en volubilité superficielle.
Console-toi : tu es une commère, mais tu as des circonstance atténuantes,
mes reproches sont ténus, tu n'y peux rien, tu es tout excusé.
Tu
ne sais que laisser sans-dessus-dessous tout ce que tu touches et qui ne te
touche pas. Console-toi, tu ne sais que laisser sens-dessus-dessous.
Tu
veux napper de ton haleine, imbiber comme un alcool. Tu veux qu'on te boive
pour oublier. Console-toi, tu es la consolation des noyés. Je ne t'en aime que
davantage, mais les noyés sont morts. Tu es affligé de péchés meurtriers, mais
console-toi : je suis la consolation des affligés.
Le
souvenir que tu laisses est ton seul acte de silence, et ce silence-là pour le
coup, a tout lieu de faire peur... Console-toi, j'ai peur de toi !
Tu
passes comme un psychodrame, tout se déforme sous ta brusque invasion :
les uns pleurent, les autres hurlent à la mort, hystériques à l'imitation des
loups. Aussi bien, toi aussi, tu émets quelquefois des louvements pathétiques.
Mais
tu vas voir ailleurs, sans y raconter le roman que tu as déchaîné d'où tu
viens. Ton oeuvre te passe au-dessus selon toi, sous le nez selon moi.
Il
n'empêche : reste ce souvenir qui, délogé de la cachette où il avait
trouvé à se tenir chaud, se tait sans pouvoir te jeter la pierre, de l'avoir
mis à la rue, puisque tes raisons étaient valables, de l'expulser : les
choses s'étaient enlisées, elles s'étaient passées comme la crise que tu as
provoquée venait de les rappeler...
A
ta décharge, il y a que tu es pulsion, et pulsion poussée toi-même, dans une
seule circonstance et sans processus de répétition.
Ce
que tu touches, que tu le fascines ou l'irrites, subit ta loi et celle de ton
départ s'il t'a aimé, sans qu'on te trouve au fond d'aucun gouffre de spleen ni
tendance criminogène.
Tu
es beaucoup trop remuant pour t'embarrasser de la mort.
Quant
à moi, qui partage avec toi ce goût de la vie, mais avec infiniment plus de
noblesse, car j'aime l'harmonie qui marche, non comme un orgue de barbarie,
mais comme un progrès dans l'histoire,
je ne suis pas non plus sinistre, même si je suis de gauche, même si je pleure
et suis sensible comme le dernier degré
de la gamme, au point d'avoir des idées généreuses et des sentiments justes
plutôt que des sentiments généreux et des idées justes. [2]
Je
suis l'électricité de la Création., Toi, tu en es le courant passionnel ; j'en
suis, moi, le courant communionnel, à travers lequel, du fait que je me tourne
vers qui j'honore de mon aimable attention, chaque créature est entièrement
reliée à toutes les autres, grâce aux lignes que je forme.
Grâce
à moi, la vie passe, mais toi, tu ne relies rien à rien. Tu parles, tu te
piques au jeu de la fougue et de la foudre, tu rabaisses, tu déloges, tu
envoies des éclairs et non pas des messages, et rien ne te revient puisque tu
fuis immédiatement après être venu, pour jouir intellectuellement de tes
effets-méfaits, comme une espèce de criminel à qui serait étrangère toute idée
de remords, voire de culpabilité, mais qui aurait besoin, pour ne pas se gâcher
le plaisir de vampiriser, de ne pas voir les dégâts concrets qu'a causés son
crime parfait, son crime de sang. Il t'arrive quand même, des années après, de
revenir par nostalgie sur le lieu de ton crime.
Tu
n'es pas l'Etre, l'Etre n'est pas toi. L'Etre est certes insaisissable comme tu
l'es, mais il est immuable : Il peut se nourrir d'une contemplation de
l'immanence dans laquelle ce qui est contemplé brille dans ce qui contemple.
Toi, tu n'es qu'un grouillement permanent, une fuite en avant qui ne mène nulle
part, qui n'as pas de pierre où reposer ta tête et pas de tête où reposer les
pierres, pas de but. Moi, j'ai du coeur pour faire des pierres mon coeur en les
abritant dans ma chair-but, sans que mon coeur devienne en pierres. Je suis le
miroir des pierres.
Tout
ce qui veut se refléter trouve en moi son trou de transparence. Toi, tu ne
réfléchis pas, tu es dans le coup, dans le vent, tu bouges, tes idées sonten
vogue, à la mode, tu aimes les effets demanche,
tu poursuis en bougeant le secret de l'éternelle jeunesse, c'est le seul
secret qui t'intéresse. Tu n'as de permanence que dans le mouvement et tu n'es converti qu'à l'éphémère.
Tu
joues au casino. Tu mises, mais tu es en déveine, rien ne va plus, tu te tires.
Tu es interdit, mais qui peut te rattraper ? Tu risques gros et tu ne
risques rien, puisque tu meurs quand ça t'arrange. Je suis peut-être un idiot,
mais toi, tu es un voyou."
Le vent :
"Désolé de choquer ta morale de bigote. J'incline à adhérer sans réserve
au jugement que tu portes sur moi, me figeant dans l'image qu'à
l'emporte-pièces et tout en voulant me consoler, tu as apposée sous la rubrique
Vent dans ton esprit, mais vois-tu ?
Je suis si libre que je ne veux pas de tes consolations, que je me fiche
de tes condamnations et que tes traits ne me font pas tomber la face contre
terre pour demander pardon, plein de repentir et de bonnes résolutions. Je n'ai
pas l'intention de me résoudre ni de me confondre en excuses. Je ne suis pas
comme toi un branleur, pardonne-moi, un baiseur baisé de la terre, un
confondu !
Peut-être
que je ne réfléchis pas, que je ne suis pas mécanicien de l'harmonie et tout ce
que tu voudras pour me déprécier, mais crois-tu qu'il faille un miroir à ce qui
n'est qu'énigme dans la Vie ? Dieu Lui-même n'est qu'énigme indistincte à
travers le filtre du présent des présences optiquement illusionnées. A peine se
distingue-t-Il dans la Présence dont Il te couvre de Son Ombre, toi qui es si
ridicule que tu veux te L'assimiler, tout en trouvant refuge sous Son Aile,
quoique tu n'aimes à la vérité, ni ce qui a des ailes, ni ce qui te fait de
l'ombre.
Tout
ce qui se cherche un miroir taille Dieu à la merci de ses péchés, le met en
pièces comme tu apposes sur moi des étiquettes, au cas où un jour, après le
Jugement dernier par exemple, je serais à vendre, et ce serait à toi de
m'acheter et de tirer de moi le parti d'un bon prix.
Car
tu te crois racheté sans condition, et tu veux toujours acheter par concession,
en sous-main, avec cet air qu'affectent les pires riches de ne pas accorder
d'importance à l'argent trompeur, tant ils ont de valeurs et de bons du trésor.
Il faut bien que la fortune du pot commun profite à quelques-uns.
Je
ne suis pas à vendre, Monsieur du Regard,
et nous serons toujours des énergies ennemies et concurrentielles. Mais
laisse-moi cet avantage que je me fiche de t'acheter, ne serait-ce que parce
qu'à la limite, c'est moi qui peux t'apporter quelque chose : oui, c'est
moi qui peux te rendre service ! Pour moi, ça va très bien : je
voyage léger, je suis une bohème sur le Poème-Terre, et la vie de nomade me
convient mieux que la vie de château.
Toi, tu es en manque. Tu es, disons, un exilé
du désir et de l'horizon.
Mais
mettons que je me sois trompé, que je
n'aie pas mis ton roman à découvert, que tu ne veuilles rien acheter, même pas
moi qui te tiens intranquille, que tu ne sois pas un exilé de l'horizon, et que
tu aimes l'amour comme ça, comme tu aimes consoler, gratuitement quoi !
pour le plaisir des yeux pour ainsi dire, et sans autre perversité.
Mettons
que, loin de chercher à emmagasiner tous les livres qui se sont écrits depuis
que des moines copistes ont rempli des bibliothèques humanistes, un seul
ouvrage t'intéresse comme à moi, le seul secret de la jeunesse : le
livre de la nature qui raconte la Gloire
de Dieu, qui dit Dieu comme en un miroir.
Si
tu penses en être là, tu ajouteras sans doute que l'on ne peut aimer que ce
qu'on arrive à comprendre et que l'on n'est aimé que quand on est compris.
Cela
n'est pas pour me déplaire entièrement, à cela près que selon moi, comprendre
ne signifie pas prendre et encore moins tout prendre. j'ajouterais aussi que l'on est d'autant
mieux compris et donc d'autant mieux aimé, qu'on est compris jusqu'à
l'insaisissable.
Dieu
a écrit le grand livre de la nature comme un miroir de Lui moins quelque chose
d'insaisissable. C'est ce quelque chose
d'Incompréhensible sur lequel chapitrent tous les spectrographes du
"je ne sais quoi" et que doit cesser de chercher à cerner
celui qui veut s'abandonner à la vraie prière de confiance et d'amour. Comme
Dieu, toute image de Lui doit passer, dans le coeur de celui qui veut la
comprendre, par une part de lui où cette image lui est tout à fait étrangère.
Mettons
donc que tu veuilles aimer en comprenant : moi, c'est en acceptant que je
veux aimer. Là est notre différence, que nous n'avons jamais sue convertir en
complémentarité, en paix si tu y tiens, parce que nous nous sommes stupidement
accrochés à une alternative, où la meilleure chose que puissent faire les
énergies ou les gens qui divergent, c'est de vivre les uns à côté des autres
sans se chercher d'histoires ; comme la seule manière d'être fidèle serait
de ne pas tromper celui qu'on aime ou à défaut, si quand même on le trompe, du
moins de ne pas se tromper d'amour en le trompant, et de bien distinguer dans
l'amour ce qui ressortit au domaine des passions occasionnelles et ce qui a le cérémonieux
sérieux des choses solennelles.
Moi,
je jette des pierres, mais c'est parce que je leur fais du vent. Jamais je
n'envisage de juger : je ne fais que donner de l'élan. Toi, comme tu n'es pas le diable, tu ne peux
pas porter pierres, tu ne veux pas me noyer, ce qui ne t'empêche pas, bien que
tu mouilles ce que tu comprends en le reflétant dans ta mélancolie larmoyante,
de le juger de l'intérieur de ta sévère austérité.
D'ailleurs,
quelles que soient nos intentions respectives, la pierre est franche quand elle
tranche. L'eau fait de l'acte qui s'y mire une vase si bien excusée qu'il en
ressort toujours sali.
Mes ailes sont celles du voyage et tout est
fluctuant, rien n'est immuable puisque Dieu se repent de moi, le Vent, quand Il
désavoue le déluge. Tu ne capteras jamais rien en le fixant. L'immobilité
t'échappera toujours de quelque façon. Il y a un point derrière l'horizon que
tu ne verras jamais, parce qu'il fuiras si tu t'approches.
Tu
ne le verras jamais, à moins de me concilier.
Il faut que tu essaies de m'amadouer, de m'apaiser, pour que je t'emmène
et que tu puisses, grâce à l'amplitude de ma danse volante, marcher sur mon
onde emportée, au rythme de ce qui t'échappe."
Le
Regard :" Et tu as trouvé ça tout seul ? Tu as refusé ma
consolation pour me proposer ta paix incertaine ? Tu as dévoilé mon roman
sans avoir l'intention de me laisser à ma première nudité, sans emporter Dieu
Que j'aurais déçu ? C'était donc cela que tu étais venu me
dire ?"
Le Vent :
"Cela ou autre chose. Est-ce que je sais ce que je dis ? Ce n'était
pas prémédité. Oui, c'est venu tout seul, dans la conversation. J'étais venu
pour te voir, pour voir si tu avais changé. Je t'ai trouvé dans le désarroi et
j'ai voulu, non pas vraiment te consoler, mais te porter secours. Et je me suis
laissé aller, je t'ai dit ce qui me passait par la fiole… J'en ai tellement
entendu, si tu savais..."
Le Regard :
"Je te remercie néanmoins d'avoir noté que je n'étais pas le diable. Pourtant, je ne vois pas ta proposition d'un
très bon oeil."
Le Vent :
"Le contraire m'aurait étonné."
Le Regard :
"Je ne sais trop si je dois l'accepter, n'étant qu'au premier pallier de l'amour selon toi. Elle ne me paraît pas
honnête : tu sais tant d'envoûtements, tu ne me dis peut-être que je ne
suis pas le diable que pour tâcher, par ruse, de m'attacher !"
Le vent :
"Tu aurais peur d'être le diable ?"
Le regard :
"a qui cela sourirait-il d'être cause d'engrenage ?"
Le Vent :
"Ou d'enfermement. L'enfer, c'est l'engrenage et l'enfermement."
Le Regard : "Pourquoi, de nouveau, me piquer au point
sensible ? Je ne suis pas maître de ne pas enfermer, de ne pas fermer les
yeux."
Le vent :
"Mais fermer les yeux peut être une façon de ne pas dévoiler. Tu
n'as pas à avoir honte de ne pas tout te rappeler et de placer quelquefois sous
la protection de ton hyppnose l'inviolable transparence."
Le regard : "Merci de m'en donner acte. Mais Tu sais aussi
combien je souffre de ce que l'horizon se détache de moi. Et je rêve de
l'attacher, de lui être attachant, car je ne suis que lien, mais elle se
volatilise et, sur le tapis volant du monde, je ne suis pas près de la
rattraper, si vite que jem'élance à sa poursuite, dans l'effet d'entraînement
de son amour. Je ne suis qu'un lien sans aile,dont l'horizon se défie,
parce que mon intelligence n'aime pas tant l'analyse que la synthèse.
L'horizon
s'évade et me fuit pour me confondre, pour que la réconciliation ne soit jamais
signée entre l'enigme et la question.
Quelque
chose me dit que je ne dois pas réussir. Et si c'était là mon destin ! Et
s'il y avait là quelque chose de consubstantiel à ma condition de lien pleureur
comme un saule au sol attaché ? J'ai fini par l'accepter.
Je
te soupçonne de le savoir et de vouloir me détourner de la résignation à
laquelle je suis finalement arrivé. Que me veux-tu ? Pourquoi viens-tu
maintenant ? Il y a si longtemps que je suis coincé. Pourquoi réveiller ce
qui dort et stagne dans la vase bien-heureuse ?
Tu
m'as fait illusion, les premiers temps que nos deux énergies cohabitaient dans
la Création-fourmilière. J'ai cru que nous pourrions nous entendre, que je
pourrais m'allier à toi, m'envoler sur tes ailes, que nous pourrions à nous
deux voler le bonheur ! J'ai cru que nous pourrions nous gémelliser, mais
je ne veux pas d'un jumeau tel que toi, je ne crois pas en vouloir. Notre
bessonière deviendrait vite une maison de jalousie, et pas seulement parce que
la jalousie est une fenêtre comme la psyché est un miroir.
Tu
me troubles, tu es content? Tu es arrivé à tes fins ? J'ai peur que tu ne
triomphes. Quel scandale ce serait : que le Vent triomphe du Regard, que
des paroles venues d'on ne sait où me fassent envoler, moi qui braque mes
projecteurs sur la terre trop ronde pour tout me dire, mais tout de même trop
plate pour me mentir ! Moi qui ai besoin de fondre les parallèles en un
point de jonction, moi qui n'ai de projet que cette fusion même, de ramener
Dieu à moi, Que tu emportes ! Et tu prétends moi aussi me démonter ?
Et tu n'es pas loin d'yarriver ? Je ne veux pas."
Le Vent :
"Ce qui te gêne, c'est que je t'apporte une lumière sur toi qui
t'importune. Il te paraît beaucoup plus simple de penser que, puisque je ne
t'éclaire pas comme le soleil, je n'éclaire pas du tout et je ne fais que tout
emporter.
Tu crois que je
t'aveugle en pure perte en te faisant baisser les yeux jusqu'à terre, puisque
je ne t'éblouis et ne te consume pas. Que n'accordes-tu quelque mérite à la
froideur !
Tu
rêves à une mystique dépouillée du froid ou à brûler sans douleur, pour
accoucher d'une vision colorée de l'Absolu fluide et délayé. Dans cette vision
béatifique de ce Dieu cosmique, image de ta visibilité, tu resterais bouche bée
toujours, dans l'aphasie adorante et stupide devant le Silence imprononcé.
Moi,
je t'illumine de froid, je t'éblouis de moi. Je t'éclaire de t'aveugler pour
que tu te décides à accepter qu'il n'y a pas qu'à comprendre. Il n'y a pas qu'à
emmitoufler en toi tout ce qui a froid dans le vide. Il n'y a pas que de la
fluidité dans l'air et pas du tout d'immobilité dans l'Etre. Il ne doit pas, il
ne peut pas y en avoir.
Une
âme, à supposer que tu en aies une, si elle est immortelle, ne peut pas être
immobile, non qu'elle doive nécessairement transmigrer de réalité corporelle en
macromolécule pour communier successivement à la conscience de l'atome de
pierre et à celle du soleil fumant. Mais même si elle te reste attachée, elle
ne doit jamais oublier de voyager, non pour faire de toi un pèlerin à perpétuité,
mais parce que rien ne doit te convenir au point que, coupant cours à toute
créativité, tu en oublies le reste du créé, car tu peux créer en regardant. Tu
peux créer comme je dramatise, en analysant, face à face, la complexité de
l'acte en vie et non en le simplifiant et en l'excusant d'un regard complice.
Tu
t'imagines que si tu lèves les yeux au ciel, tu vas brancher ton coeur de
regard sur ce que tu aimes et qu'en aimant tout, tu brancheras tout sur Dieu
Qui Est le bien.
Peut-être,
mais si le courant passe, il ne circulera qu'une fois pour toutes entre vous
deux, et il ne circulera que de toi à Lui. Lui, ce que tu aimes, se sera couché
et ne pourra plus jamais se relever. Tu l'auras électrocuté, paralysé, tué une fois pour toutes, alors que, de même que
je renais à chaque chose que je découvre, je ne tue pas définitivement :
je ne fais qu'assommer...
Mais
toi, ce que tu auras branché en parallèle pour que le courant passe et rejoigne
les points destinés à ne jamais serejoindre, en le tuant une fois pour toutes,
tu l'auras statufié comme une structure de buste, car tu auras engourdi sculpturalement toutes
ses capacités motrices.
On
ne peut pas voir et laisser courir, et la croûte des statues est formée du
mortifiant silice qui s'est sédimenté à partir de la poussière des yeux qui
auront vu et pleuré. Tu auras fait porter silice à ce que tu auras voulu aimer
de ta compréhension transversale. Tu l'auras fossilisé, terrassé. Tu ne pourras
plus que faire de la spéléologie à l'intérieur, au lieu que, si tu l'avais laissé s'échapper en regardant partir son
point lumineux plongé dans la Vie, tu ne le connaîtrais jamais qu'il ne te
reste encore inconnu, tu ne croirais jamais en être rassasié que tu n'en aies encore
faim, tu courrais après et m'ayant concilié, tu pourrais savourer les moments
de pause où m'apaisant, je te le montrerais par dévouement, pour que tu croies
goûter le définitif, alors que tout
doit toujours rester, non seulement provisoire, mais propositif.
Je
t'invite, viens-tu ? Je te propose, veux-tu ?
L'éternité,
c'est que rien ne s'achève. Il n'y aura jamais de connaissance achevée, ni de
point figé sur sa ligne, ni de loi arrêtée qui ne soit sujette à se modifier,
si les faits, loin de l'avaliser par tacite reconduction, têtus à ne jamais se
taire, continuent de parler contre elle.
Si
tu veux que ton âme ne se conduise pas comme une mémoire accumulative dont
chaque souvenir, comme d'un magasin, puisse être puisé et sortir, si tu ne veux
pas être vendu aux enchères en collections comme tu as voulu m'acheter par
appât du gain, si tu veux que la réminiscence baigne et liquéfie tout ce dont
tu auras en vain cherché la transparence, n'achève jamais de vouloir découvrir,
remets ton âme à édifier, remets-t-en à mes ailes pour poser ton amour. A nous
deux, nous n'aurons jamais fait le tour de rien ! Je te propose, que
choisis-tu ?"
Le Regard :
"Ca demande réflexion, on va voir !"
Claude-Laurent Schultz (alias Julien Weinzaepflen)
[1]A beaucoup d'égards, j'ai été marqué par Marguerite Duras, même si
entre elle et moi il y a cette différence, outre qu'elle est de notoriété
publique et que j'en suis privé, qu'elle est parvenue à insinuer des
personnages dans une méditation purement poétique alors que faute d'en être
arrivé là, je fais profession de me défier du romanesque et je prends mes distances
avec lui. La prise de distance n'est le plus souvent qu'un aveu d'impuissance.
Pour ne pas
rallonger inutilement cette note, je ne ferai que souligner deux faits à propos
de Marguerite Duras : à la base, il y a toujours un fait qui s'impose,
comme un point sur la table, après quoi, exposition faite, on peut s'en donner
à coeur joie, ayant bien proprement lavé son linge sale en famille.
Or chez Duras
précisément, il n'y a pas de faits : il n'y a que des questions
dissimulant du sens et qui, dans une pièce comme L'amante anglaise,
bouleversent l'exposition. En effet, toute l'intrigue est exposée dans les
trois premières phrases. Il n'y aura pas de rebondissements, pas de péripétie,
pas d'histoire : toute la pièce va consister, en une maïeutique bizarre, à
cerner les raisons qui ont présidé à l'irruption des faits criminels initiaux.
Mais passons, car l'exposition chez Duras n'est ni notre affaire, ni notre
fait.
Tout d'abord, Marguerite
Duras est La femme du Gange. Elle est fascinée, non seulement par l'Inde, mais
par l'Asie où s'est douloureusement déroulée son enfance. Ma référence aux
mamans de Calcutta est directement tirée du Vice-consul, dans lequel Duras
décrit la mendiante de Calcuta abandonnant, à bout de force, sa petite fille à
des soins bourgeois, avant de sombrer elle-même dans la folie.
En second lieu - mais les lieux sont partout,
on met des lieux partout, on rend publiques toutes les paillotes : on veut
des lieux publics, des lieux d'aisance à deux francs pour la dame-pipi, des
lieux communs, des lieudits... On trouve même des lieux de mémoire dans la
sociologie de Saint-Germain des prés qui aime bien la mise en abyme -,
Marguerite Duras a introduit dans la littérature un procédé que Nathalie
Saraute a utilisé avec plus de pose, et qui consiste à obtenir l'effet de
silence en projetant à la fin de la phrase, séparé du reste par une virgule
suspensive et repris anaphoriquement, d'un élément extrait de la phrase et
situé avant cette virgule, un monosyllabe qui pend, un coup de poing tel que "rien" :
"Elle ne sentait plus rien pour lui, rien, rien" (pastiche).
[2]Reproche fiat par Maurras à Madame de Staël.
[3]Mais n'oublions pas de noter ceci, qui est très important pour ne pas
être détruit par l'amour :
tant que nous
sommes hommes (et sans doute, les éléments aiment-ils comme nous), nous aimons
à partir de nous-mêmes, et l'amour que nous portons à l'autre et à Dieu est
ordonné à notre amour de nous. Tout amour qui ne prendrait pas sa source en
nous ne serait qu'une parade orgueilleuse d'humilité par où nous nous
nettoierions l'amour-propre.
Ce que nous ne
comprenons pas en nous, siège où nous le contenons, nous nous exposonss à le
juger en nous dédouanant d'autant plus facilement que, nous croyant libres de
notre jugement autant que la justice immanente, nous nous prenons pour l'étalon
de la perfection, le mètre de la sublimité.
Nous nous déculpabilisons à bon droit si nous nous
déresponsabilisons. Nous ne faillissons que faute de nous aimer assez pour
répondre de nous.
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