mardi 6 mai 2014

Un gitan

Tu dis stop. Je t'ai bien entendu : tu as dit stop. Il y a pourtant loin de la coupe aux lèvres, mais tu ne veux pas boire celle des désabusés. Tu viens d'ordonner à ton chauffeur de s'arrêter illico sur le gravier, de bloquer ce voyage inutile sur le point mort, parce que ce n'était pas à ce voyage-là que tu t'étais préparé, hein ? Ce n'étais pas cela que tu cherchais en voulant voyager. Toi, autant le dire tout de suite et tout de go, ce que tu recherchais, c'était le vent. Un gitan sédentarisé, mais n'en appartenant pas moins à la famille des gens du voyage, me disait un jour (je te raconte...) Qu'il avait beau se sentir chrétien avec des amulettes autour du cou et des croix dessinées au couteau sur son coeur tatoué, il n'arrivait pas plus à considérer Jésus comme plus qu'un homme qu'à se faire une idée précise de Dieu, sinon qu'il aimait à se répéter les paroles de sagesse sorties de la bouche de Jésus et contenues dans l'Evangile, grand livre des conclusions d'un homme arrivé au sommet de ce qu'un homme peut découvrir de l'homme, ou appeler Dieu "son petit Papa" quand ça n'allait pas trop bien dans sa caboche ou dans sa vie, que les conneries sur un coup de sang avaient pris trop de proportions dans le cours ordinaire de l'existence tranquille, ou que les petites misères s'attiraient entre elles dans l'impasse des problèmes, pareilles à des sirènes venant se faire payer le tribut de leur chant par ce rince-oreille embourbé dans tant d'inexorables dettes contractées auprès de harpies pour ne pas avoir su se les boucher à temps, ces oreilles ouvertes à trop de musiques, incapables pourtant, ces harpies-sirènes, musiciennes dangereuses comme des agents de la possession diabolique et cauchemardesques ambassadrices de l'enchaînement du lendemain comme la suite logique des tentations auxquelles on s'est laissé succomber la veille, d'empêcher que la vie du gitan ne trouve une issue dans l'insubversible Bonté de la Providence divine, tant, même s'il restait imperméable à l'idée d'un Dieu qui ne se coulât pas dans les normes et les mots d'ordre de l'autoritaire et tragique humanité, ce gitan ne pouvait se retenir de croire qu'un "papa" presque humain connaissait, devançait ses besoins et les comblait avant qu'il eût rien demandé pour lui, si ce n'est ce peu de compassion que l'on espère de celui devant qui on pousse à la sauvette un petit "ça va pas trop fort", quand les conneries de l'impasse des emmerdes en série vous appellent un car de flics pour se faire rembourser du shit. En fait, le gitan était trop habitué à voyager en vrai sur une ligne transversalement découpée au cutter dans la mape-monde pour entrer dans la complexité presque philosophique d'un rocher que l'on presse pour en tirer de l'être. Il était, ce gitan, dans la joie de la caravane, même arrimée à la France éternelle, même parquée pour toujours comme un bibelot de prestige n'étant plus destiné qu'à rappeler d'anciens services rendus autrefois au nomadisme chevaleresque. Certes, je le sais bien, les roulottes des gitans d'aujourd'hui sont des Mercedès mercenaires qui abritent des regards indiscrets et de la curiosité des brocanteurs à échoppe fixe ou des voyants à cabinets ouvrant sur kiosque téléphonique tout un bric-à-brac de trouvailles étranges à cinquante pour-cents : mille ébénisteries de bois dur comme fer, deux cents haches de "j'aime la vie, donc je peux donner la mort par amour", cent-trois secrets de médiumnité fantomatique apprise de mages rencontrés en chemin dans les pays outre quelques mystères pouvant se révéler utiles pendant les traversées des zones de pesanteur des conflits du malheur ou des rivalités. Mon gitan aimait la caravane promise, métaphore d'un ébranlement dépositaire. Même si lui-même ne voyageait plus ou n'avait jamais voyagé avant que ne se fixassent les souches de sa famille adoubée par le nomadisme aussi aristocratique que la courtoisie française et légitime que l'amour que l'on doit aux Bourbon ou à qui on voudra introniser chef de la maison deFrance, il savait que le soleil se lève toujours à l'Est. Ses ascendants l'avaient fait accoster à ce coin près de la mer. Il n'avait pas envie de découvrir l'Amérique que l'art et avec lequel elle avait transformé ses piastres en dollars ne lui décrivait pas comme une terre d'initiation ni d'asile. Il savait trop que les vies finissent par se jeter dans la mer à moins de trouver autre chose : Dieu peut-être, écumant dans les vomissements d'un monstre délégué par Neptune surgissant pour sonner l'heure de la colère devant les demi-noyés interdits de la mort. Mais, dans l'instant, il ne cherchait pas, le gitan, pourquoi il restait là : pour ne pas se noyer peut-être, même à demi ; pour ne pas avoir le haut le coeur que provoque l'eau salée venant tout à coup frapper en plein coeur du gosier ce qui est le plus à l'intersection de tous nos conduits dans la trompe d'Eustache et nous faire boire une tasse qui nous laisse absolument sans capacité, pas plus de respirer que de la rejeter là d'où elle vient : dans la mer saoule de sel marin. Il se reposait et regardait le sang couler de son attente morne et répandre des flaques sur des charbons ardents. Il était comme un naufragé sur le pont, se récupérant sur une île déserte et désherbée, sur le point de non-retour d'un départ trop longtemps différé et sans doute ajourné aux calendes grecques, puisque gitan qui se pose longtemps ne va pas au bout de l'aventure. Ou, quand il y va, quand il s'y jette, c'est pour se perdre comme un voleur en enfonçant les portes cochères d'une hache bouchère et bûcherone, en regardant un animal mourir... En assistant, impuissant du regard, mais pas indigent du geste, à l'éclosion de la viande sous l'abattage d'une bête qu'il a anesthésiée de paroles rassurantes pour qu'elle ne souffre pas trop et dont les chairs purulentes l'incubent de façon animiste pour l'exhorter à ne se renoncer en rien, à devenir leur asile et leur ami, à rester homme pour prix de leur sacrifice domiciliaire en se conciliant les forces de la vie et de la mort pour que le cri sauvage du moment de la mort appris de cette intubation des chairs animales qui continuent d'éclore sous le couteau sanglant, continue de retentir en l'endurant à vivre pour prolonger en lui, autant qu'il est digne, cet espoir intraitable autant qu'insoluble dans lequel chacun refuse la dissolution de la vie avant que le gitan ne montre son courage et, quand le coq de la maladie aura chanté, quand l'épidémie de la sédentarité, cause de sénilité chez les gitans anémiés, aura fait de lui un légume, quand il ne pourra plus éprouver aucune grande douleur, quand, devant souffrir, il n'aura plus la ressource de gueuler son héroïque rage de vaincre la charognarde adversité, de couper, n'écoutant plus que le moment qui lui commande de s'appliquer la mort comme une compresse frontale, le cordon de l' unité factice entre ce corps hasardeusement attribué à son âme et cette âme qui se vautre dans lui et se glissera lui déchiqueté dans le cours d'une eau poissonneusement pleins d'amis qui ne boivent pas la tasse du sel dont la mer est en overdose, en ce cours d'eau de la paix de son âme où le gitan trouvera l'immanence d'un Dieu qu'il appelait "Papa". Mon gitan ne concevait certes pas le voyage comme ces Casanova en chaises à porteur ou autres bouffons de société baguenaudant au gré de leur bourse pour chercher fortune auprès de quelqu'hobereau sensible aux arts ou mécène en jupon. Ils allaient en diligence et leur plus haute jouissance était de croûtter en chemin dans des auberge où une hôtesse au hanches grasses les régalait d'une pintade servie sur une table dressée à regorger de victuailles, tandis que les verres ne désemplissaient pas, le goulot fournissant toujours du vin à ces buveurs de haut tonneau à qui, leur fît-on les honneurs d'une infâme piquette à faire des centenaires dans la localité, le vin n'était jamais en trop. "Ah que nos pères étaient heureux quand ils étaient à table... Hé, la suite, aubergiste et du vin, tavernière..." Au bout de quelques verres, quand ils étaient rincés de se trouver mieux que Platonov au vin triste, faisant chabrot avec leurs doigts, fêtant cette propreté d'un dé de vin, enhardis de voir leur appétit de chasseur récompensé par la gaillarde gourgandine au cul de bécasse et aux flancs d'oie qui les servait, ils sortaient mirlitons, clairons, trompettes et cordes à noeud pour jouer les troubadours et chanter des romances à cette Mariette qu'ils faisaient sauter de sa corde à leurs genoux. A moins que, plus portés à la querelles et à la triche, ils ne risquassent au brelan leur bourse mendigote de saltimbanques nourris au chapeau et leur réputation à coup sûr car, s'ils perdaient et n'avaient pas le sou de payer leur mise, pris la main dans le sac de leur pauvreté, la rumeur les en suivrait jusqu'à la prochaine auberge et chaque jour, ils iraient dorénavant comme des croquemitaines à l'affût d'un coup de chance jusqu'au lieu qu'ils auraient dès le partir élu pour but du voyage, au château de leur protecteur ignorant de toutes leurs malversations chez l'habitant, de leur réputation de menu fretin en haillons grimés sachant, la réputation, bonne mère, ogresse charitable, s'arrêter à bonne porte pour leur prêter main forte à ripailles et ne leur refuser le denier des manants que pour leur faire mieux goutter la tripaille des grands. Mon gitan n'avait point de but de voyage comme ces troupiers de joyeuse caravane savourant en parasites le repos du guerriers après tant de soldatesques algarades de l'aveugle Fortune. Mais il partageait avec cette claudicante roulotte cahotant au rythme intermittent des sabots chevalins le goût de la tripaille qu'il connaissait mieux que ces vérolés de la fringale et que jamais il ne se serait sans le voler laissé donner par un hôte pingre à une paresseuse volaille. Il aimait néanmoins la musique autant que cette volaille pique-assiettes aboutie chez son pingre, mais n'en vivait pas comme elle : il n'italianisait jamais la danse, mais la gonflait de hoqueteuse et virile énergie pour faire sauter les femmes ivres de rires, et aurait regardé comme déshonorant de profiter de naturellement bien faire son devoir de cavalier cavaleur pour rester à demeure de qui lui aurait prodigué ses faveurs à l'insu du mari payeur. Danser, boire et manger détournent le voyage de ne se pratiquer qu'en imagination. Tel est le pèlerin immobile, qu'il est tellement dans la contemplation peu nuageuse de l'eau qui jaillit du rocher jusqu'à l'auge de son coeur dur, que peu lui chaut par quel chemin carrossable ou bosselé la caravane passe, parmi qui, joint à elle par la coutume de périgriner de ses galoches, il sera mené de terre trop connue en découverte agaçante. Ni mon gitan, ni mon homme de diligences et des relais de poste n'avaient l'austérité de ces caravanes de pèlerins du devoir agricole auquel appartient à contre-coeurm on marcheur intérieur, caravanes dont les femmes portées sur les ânesses, comme Marie allant visiter sa cousine Elizabeth ou perdre Son Enfant au Temple de Jérusalem, attendaient l'heureux temps de la halte tandis que les hommes, harassés d'avoir l'oeil à tout et de suffire à l'intendance, les soutenaient mal, mis en fatigue par leur hâte de rentrer sous le torchis de leur chaumière, les ânes rangés dans les étables pleines de son et leurs pieds calés sous des tables de belle écorce dont ils béniraient patriarcalement le pain qu'aurait préparé la femme, rendue à son fournil et au trousseau qu'elle repriserait, retrouvant pour l'assurer avec l'habileté de l'habitude l'intendance domestique que se réjouit de déléguer à sa femme le mari maladroit, qui se verse pour fêter à quel point il est heureux de rentrer et comblé au logis un peu du fruit de Noé dont sa femme est l'allégorie, vigne généreuse sous le corsage de qui il peut recueillir des raisins juteux plombés de lait que tétera leur fruit, l'enfant, après que l'homme en aura pris sa part pour se récompenser d'avoir bien porter sur les hanches sa vigne, et d'encourager sa portée par les anges à surmonter sa lassitude (il a peu de mémoire...) prête à se poser là, laissant la caravane continuer sans elle et l'ânesse pleurer la laisse de sa maîtresse qui aurait préféré s'effondrer, maugréant contre sa condition vaillante et populaire qui l'obligeait à remplir les troncs des changeurs du Temple de Jérusalem. Lassitude était ce voyage de pauvres à ampoules aux pieds qui se rendaient sur la Terre Promise et qui, tels Moïse s'y voyant toucher, s'écroulait d'une ultime faiblesse, la tête cassée par tant de noises cherchées par un peuple à la tête dure, jamais content de la manne, ni de l'eau tirée du rocher, ni du jeûne, ni de l'Arche d'Alliance, ni des tables de la loi, ni d'avoir un chef à la férule de qui s'en remettre pour les soucis du trajet, ni d'êtres affranchis et revenus à la sveltesse de ceux à qui on ne peut rien prendre qu'ils ne vous l'aient donné, ni de rien. L'épopée fige le voyage et l'escale, grand Dieu, qu'est-ce que c'est que l'escale ? Mademoiselle Alice, vielle fille, petite souris grise d'un mètre cinquante qui appris "dame souris trotte" aux petits bambins que nous étions, mourut d'une jaunisse à cinquante-deux ans après nous avoir aussi appris cette contine dont il me reste ce refrain : "Vive les voyages Qui font connaître les pays ! Vive les voyages, Escales de la vie "! Déjà, je chantais la deuxième voix, mais qu'est-ce que l'escale de la vie, Grand Dieu? Est-ce une station, comme on s'arrête sur un chemin de Croix pour regarder Jésus tomber en méditant sur une chute dont nous ne l'aidons pas à se relever ? Comme s'il était décidé qu'il devait choir pour nous relever et que la reconnaissance que nous lui en aurions, ce serait de le regarder sans rien faire, en pleurant dans le vide, sans essuyer de nos cheveux mouillés de larmes Ses pieds dont les pieds suintent et s'agrandissent à chaque pas ? Est-ce un point d'arrêt qu'une escale ? Est-ce une escale de toute la vie battant la retraite pour une durée indéterminée dans un ermitage pour thalassothérapie par remise en cause ? Quand mon gitan me confessa qu'il ne savait ce qu'entendre par Dieu en dehors d'une paternité presque moins autoritaire que l'humaine à la prévoyance de qui il fait bon s'abandonner quand tout nous afflige et au-delà, je me crus envahi d'une géniale idée pédagogique autant qu'investi d'une mission en, sans me souvenir de Moïse qui est allé frapper le rocher, me disant que moi, d'un point de vue philosophique, je comprenais Dieu comme ce "Je Suis" exprimant dans cette identification à tout l'être la plénitude de Sa Divinité contrairement à ce que prétendait mon gitan qui, se livrant à une exégèse des Paroles de Jésus lorsqu'Il affirme et certifie : "En vérité, en vérité, Je vous le dis", soutenait que cette manière pour Jésus de s'extraire de la gangue des paroles repassées par la rumeur avait pour but pour l'homme Jésus, arrivé à maturité de l'humanité, de se mettre à part de tous pour dire l'universellement vrai, et à part de ses disciples eux-mêmes, ne serait-ce que pour leur éviter d'endosser trop tôt l'Evangile et d'encourir ce que la nouveauté de ces paroles ne manquerait pas d'attirer sur le Rabbis. Le gitan affirma en outre que cette insistance sur ce "Je" mis à part, qui soustrayait Sa Parole à tout ego placé au confluent des idées reçues, traçait un segment entre la parole qu'Il prononçait dans cette solennité d'heure enseignante où le "Je" perdait de l'importance en jouant à en acquérir et la Vérité qui n'était pas directement rattachée au "je" de Jésus en train de la dire, ni à son Nom d'homme : "Dieu Sauve", ni à une quelconque onction divine mais au bout de Laquelle Vérité Il était parvenu, à maturité d'humanité, ce Jésus, mis au monde à la suite d'un égarement de sa maman et qu'un veuf avait adopté, mis au monde, au milieu d'une famille complétée par Jacques et José qui n'étaient point les fils de Marie-Salomée, soeur de marie toujours vierge, mais dont il n'importait pas qu'elle le fût restée, mis au monde, ce Jésus adopté qui avait surmonté Son adoption comme pour mieux préparer la nôtre par le Père Eternel en allant au plus juste, au plus criant de ce que l'homme pourrait découvrir et en disant ce plus criant assegmenté à la Vérité ; mis au monde, mais déségoïsé, détaché de la Vérité, ni Messie, ni prophète, mais simple quêteur d'une vérité sise au fond d'une sagesse ouverte à l'homme : ni prophète pour que nous ne croyions pas que nous puissions l'être et que nos prémonitions fassent mieux que nous informer, ou nos extases plus que nous exalter ; ni Messie pour que nous n'attendions pas d'être libérés en ce monde où nous ne devons chercher, même morts, Dieu que dans les cours d'eau de son Immanence ; ni Messie surtout pour que nous n'étendions pas notre désir de nous subjuguer comme si nous pouvions être autant de Messie porte-miracles et liberté que nous sommes d'hommes sur la terre ; mais non Messie, ce jésus, dont peu importait que son nom d'homme répondît à notre besoin d'un Rédempteur et que Son Nom divin de Christ - Que mon gitan niait d'ailleurs - en manifestât et garantît l'onction venue d'en Haut ; non messie, ce jésus dans le regard de mon gitan, parce qu'il ne fallait pas que l'homme dépassât sa condition de voyageur et se mêlât d'apprivoiser la divinité pour l'enclore dans des catégories fallacieuses de chercheur n'ayant presque rien trouvé que des secrets d'alcôve à propos de divinations faciles à déchiffrer ; non Messie, ce Jésus, pour nous exhorter, nous autres, à ne chercher que la plus grande profondeur que nous puissions atteindre de la sagesse ouverte à l'homme et peut-être, à loisir, inhalée dans les cours d'eau où je pédale, accélère et donne du gaz pour tout corrompre sans avoir rien humé ; pour qu'au bout de ma prière, je ne fasse point descendre comme au bout d'un hameçon Dieu attrapé du ciel pour Le coucher en mon coeur : telle prétention ai-je comme tous les croyant-prier que, quand je fais effort pour bien parler à Dieu, je crois l'attirer à moi plutôt qu'Il ne m'attire à Lui Qui m'embarque pour le grand voyage, non dans la caravane éplorée des pèlerins du devoir, non même dans les nues, mais de la terre au ciel qui n'est pas de la tôle au goudron. Point ne me seyait à moi que Dieu fût détaché de la Vérité, lui fût-Il associé par un segment : cherchais-je à ce point à me relier à mon imagination ? J'en laisse juge qui veut savoir s'il croit. Point ne me souvenais-je de Moïse frappant le rocher pour en tirer de l'eau afin d'en désaltérer le peuple maugréant de soif à en préférer sa terre de servitude et sa livrée d'esclave. Point ne me suffisait que mon acolyte fût croyant : je m'étais avisé d'une idée pédagogique que je trouvais géniale, et j'avais gardé sous la langue le philtre de ceux qui pourchassent l'hérésie avec un coeur aimant. Point ne me venait qu'à défaut de nous représenter Dieu de la même manière, dès lors que nous avions une communauté de prière, dès lors que tous les deux, nous étions capables d'appeler Dieu Abba Père avec une insouciance qui L'aurait armé contre nous s'Il avait été plus jaloux de Sa Puissance, mais qui le désarmait parce qu'il ne l'était pas, le reste souffrait que nous ne fussions pas du même avis et que l'un de nous voyageât comme un intendant qui fait subsister sa caravane humaine, tandis que l'autre, prêchant qu'une mystique trop subordonnée à l'action côtoie de trop près l'inhumain, voyage en philosophe qui se laisse porter par le vent et parfois, à n'en pas douter, aussi amollir, à ne pas lutter contre le sens du vent, à ne pas trancher. Point ne me venait, parce que je voulais dire... Et je dis que, non seulement "en vérité, en vérité, Je vous le dis" signifiait à la fois que la plénitude de la divinité en Jésus était d'être et que l'Etre est, de par l'éternité de la Volonté et de l'Essence divine, assegmenté à la Vérité, mais que, pour se représenter Dieu, il fallait - et pourtant, je ne me souvenais pas de Moïse : je me croyais tout simplement pédagogue -, il fallait s'imaginer en train de penser et se représenter alors tout ce qui se cache de fluidité liquide et contenu sous ce que nous croyons que nous sommes en train de penser et que, pour faire jaillir cette source d'eau fluide plus douce que notre pensée rêche, il fallait frapper cette solidité calcaire, cette zone de guerre qu'est notre âme, dure terre, cette carapace de notre esprit pensant. Il fallait la frapper, la frapper jusqu'à ce que jaillisse cette eau tirée du rocher de notre pensée apparente, et cette eau fluide qui s'échappait était l'Etre, et cet Etre était ni plus, ni moins que Dieu Lui-même, ce Plus des Plus sortant de la prisons dans laquelle nous L'avions encastrée, que nous avions confectionnée pour Lui d'une pensée rebudante de dureté pour L'enjôler et Le cajôler, Le garder plus amoureusement à nous, assez bien pour qu'il ne puisse plus nous emmener faire le voyage de la terre de nos corps qui empilent au ciel de nos songes qui ne sont point songes d'attirail tassés contre une paroi de tôle séchée, derrière un chauffeur brisé que notre présence fait bâiller, qu'elle fait transpirer à grosses gouttes, qu'elle inquiète et ne stimule plus assez pour lui éviter le sommeil réparateur annonciateur de carambolages, carambolages dont les feux d'explosion concourent à favoriser la crise d'asthme de l'enfant de l'hôpital qui gémit et qui, après avoir appelé en vain à l'aide et supplié que la main de son papa essuie son front encore affolé de sueur dégoulinante, se fait comme Smerdiakov des réflexions de sortie de crise, d'entre deux crises, d'entre deux folies, d'entre deux coups de vin, d'entre deux coups de vent... J'avais attelé mon voyage à mon imagination, ma caravane à mon lit où, couché sur le côté droit, je rêvais comme quand j'étais petit à je ne sais quel château mirifique que je posséderais je ne sais où, je rêvais comme un artiste qui aurait fait son deuil de l'action, comme un intendant qui se moquerait de mal soutenir les femmes, du moment que, s'il n'était pas sûr qu'à chaque femme, son âme, au moins, à chaque femme, son âne... Comme un voyageur trop facilement convaincu que le plus grand voyage est intérieur, trop plein d'une intériorité qui le laisse médusé, trop ravagé du désir d'aller vers Dieu pour se souvenir qu'il est un homme. "Etre homme, mon Dieu, n'est-ce pas exempt de dignité ?" demande le philosophe en pleine asthénie de ses facultés énergétiques : qu'est-ce que l'escale de la vie? N'est-ce qu'une prise de distance vis-à-vis de la vie urbaine dans laquelle un enfant asthmatique appelle ? est-ce une escale imposée à la vie profuse obligée de traîner son convoi de brancards dans une cantine désaffectée le temps de rouvrir les vrais robinets de la source de sa pensée dont l'enfant n'est plus renseigné par ses alvéoles pulmonaires si c'est bien cette source que capte la robinetterie qu'il a l'habitude d'utiliser pour penser à l'ordinaire : peut-être, les tuyaux de cette robinetterie débouchent-ils dans le tout à l'égout, sur des vers de terre qui grossissent dans son esprit, des vers solitaires qui se nourrissent de ses olfactions. Oui, se baigner, se baigner dans la source pure pour ne plus jamais, jamais Etre interrompu par les terribles crises et guéri, comme un miraculé, louer Dieu pour ne pas faire comme le méchant lépreux que n'étouffe pas la reconnaissance. Est-ce un chantage ? Sarment greffé sur la vigne, rattaché à l'Ego Divin en symbiose absolue avec la Vérité et indistinct d'elle, attaché tout à fait comme il faut en plus, comment se fait-il qu'il se sente, l'enfant, l'enfant asthmatique qui va à la messe tous les dimanches et moi avec lui qui l'écoute, comme un infirmier qui aurait le temps, qu'il se sente sans liberté d'agir ou de voyager léger, voué à une mystique obligeant la vie grouillante à faire escale sans pouvoir faire escale elle-même dans la vie des caravanes, ne convertissant pas la vie grouillante en vie des caravanes, ne transformant pas cette terreur dans laquelle l'enfant se sent enchaîné à la peur du lendemain en une intendance dans laquelle il se sente responsable de la lassitude des femmes abattues sur leurs ânesse. Comment se fait-il ? Qu'est-ce que voyager ? Il ne faut pas forcément conclure par la fascination par l'autre, le géant, le gitan géant, "le gitan, le gitan, le gitan que tu ne connais pas... Que je connais pour toi..." qui a toujours raison, comme si on ne pouvait qu'avoir raison contre moi, contre moi qui veux toujours avoir raison ("der Führer hat immer Recht" disait de moi ma grand-mère : Hitler a toujours raison...), contre moi, être désenchanté dont l'imagination n'est qu'un refuge aboulique, une fiole désemparée, emplie d'un vent en pure perte et pour ma perte enfermé dans cette fiole par un Eole ayant pourtant prévenu Ulysse que, s'il l'ouvrait à contre-vent, elle le dérouterait dans une aliénation dont on ne revient pas. Ma fiole est le flottement de mon cerveau dans ses choix, dont j'entends la matière grise faire "platch platch", de mon cerveau qui sonne l'eau et lourd comme il y a des grandes gueules qui sonnes creux. Qui sonne l'eau et lourd et que l'intendance renvoie, car il n'est pas doué, et ne renvoie qu'à l'organisation du lendemain lancinante, que je repousse, le lendemain et son organisation même, puisqu'"à chaque jour suffit sa peine", que j'annule, le lendemain parce que je n'ai pas la force... Si vous le dites, que je ne sais me rassurer que dans la mémoire de la morale d'une fable déjà bien trop longue et trop somnolente dans un taxi qui me réveille et qui doit en avoir profiter pour être passé par les boulevards extérieurs, voici : je compose ma chute et résume ma leçon inaugurale au collège de l'endormie : il serait bon, il serait sain que mon voyage apprît sa trinité analogique à celle de Dieu, dans laquelle il cherche à trouver sens à tout : il faudrait qu'il prît sa direction dans la fiole de mon imagination, qu'il se fît caravanier d'experte intendance et se moquât du chemin en le prenant de vitesse, comme l'Esprit est un vent violent qui ouvre subrepticement toutes les portes verrouillées de nos coeurs ; comme c'est sous la conduite du Fils, Qui va peut-être un peu trop vite pour nos petits pas, que la caravane-Eglise est guidée par son intendant-Caput Qui n'a de chemin que la fiole céleste et la Volonté de Son Père à laquelle ce n'est pas son adolescence attardée qui se soumet, mais Sa confiance, confiance fondée parce que sûre de ne pouvoir être jamais trahie. Et qu'Il nous propose d'imiter, car c'est si reposant de bâtir sur du non trahissable...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire