jeudi 21 novembre 2024

L'île du coeur

"Je crois bien que j'ai trouvé mon ciel sur la terre, car mon ciel, c'est Dieu et Dieu est dans mon âme" (sainte Élizabeth de la Trinité).

 

 

- "Une île, entre le ciel et l'eau." Tant qu'il y aura des îles... Mais y a-t-il de l'eau dans le coeur ? Il faut que je demande à l'éclusier, si le coeur est une écluse, une cage à étages qui renferme l'amour.

 

- Mais non, mon gros bêta, s'il y avait de l'eau dans le coeur, il ne battrait pas ! Il ferait comme ta montre qui n'est pas une montre de plongée. Ce n'est pas la vocation du temps de plonger dans l'homme, mais celle de l'homme de plonger dans le temps pour en tirer à coups de "quand" les souvenirs du fond du sac. Dans le coeur, il n'y a pas d'eau, mais il y a des aiguilles : les aiguilles du souvenir qui marquent la tristesse ou la joie, suivant qu'on est plus ou moins porté à aimer l'une ou l'autre. Dans le coeur, il n'y a pas d'eau. Le coeur est entre l'eau. Est-ce à dire qu'il faut y laisser entrer l'eau ? C'est affaire de qui veut couler, car l'eau est toujours celle du remords. L'île du coeur habite à côté de l'eau de la mort, mais l'eau de la mort ne doit pas inonder l'île du coeur, sous peine de lui masquer le ciel. Est-ce la vocation de la mort de noyer le ciel ? La vocation de la mort est d'y faire monter, non de le noyer. Le ciel, ça ne case pas des pipes ! Mes réponses non plus ne cassent pas des briques, mais je deviens casse-noisettes et toi, ton coeur se brise. Ton coeur se bat pour que tu vives. Il enferme ton sentiment dans l'intelligence pour que celui-ci ne te détruise pas. Il ne faut poser de questions qu'entre deux battements de coeur.

 

 

 

- Alors dans le coeur, y a-t-il de l'air ?

 

- "Maman, les p’tits bateaux qui vont sur l'au ont-ils des jambes ?" "Mais non, mon gros bêta, s'ils en avaient ils ne marcheraient pas !" Hé oui, mon joli candide, dans le coeur il y a de l'air, ou plus exactement autour du coeur, mais pas autour comme l'eau qu'il s'agit de ne pas laisser entrer pour ne pas être noyé par une passivité eirrespirable. L'air justement, il faut l'inspirer pour oxygéner le sang. Cet air azoté quand il sort de nous nous purifie quand il y entre. C'est ce qui entre en nous avec l'intention de sortir qui nous est bénéfique.

 

L'air nous fait du bien. Je t'ai parlé des jambes des petits bateaux. As-tu remarqué que nous n'avons que les pieds sur terre? Tout le reste de notre corps et surtout notre nez vit dans l'injonction du ciel, dans sa nostalgie, est attiré par le ciel, mais est cloué par la terre fixiste dans l’appesanteur gravitationnelle. Tout ce qui fixevoudrait nous rassurer, mais c'est une réassurance trompeuse. La terre que nous croyons imobile ne cesse de tourner et nous n'en sentons rien, mais c'est dans ce tournoiement que notre vie s'émerveille. C'est ce tournoiement qui excuse la terre de nous clouer à elle. L'air n'a pas ce pouvoir de tourner toujours dans le même sens, ni cette prétention de se fixer en nous. Il nous visite imprégné de la part du monde qu'Il a visitée et va visiter le monde imprégné de nous, purifié à chaque fois avant d'entrer, non de ce qu'il frappe comme l'orgue du coeur à tuyaux sanguins, mais de ce qu'il voyage. L'air, c'est un courant qui relie en déplaçant et un courant d'air, ça brise le coeur, ça déchaîne une passion qui fait semblant de s'en aller, mais ça relie matériellement les êtres entre eux, pas comme le regard qui décrit en clinicien ou communie en psychologue technicien.

 

Il y a de l'air autour du coeur. L'air est le soleil de l'île du coeur, mais il ne la brûle pas, il n'échauffe pas. Il atténue les passion en s'en faisant vecteur. En les prenant sur son dos, il ne les assure pas de ne pas tomber. Il les enveloppe de temps sans durée pour qu'elle ne nous tombe pas trop lourdes sur le coeur,  écrasantes de la masse d'émotion qu'elles contiennent en puissance de foudroyer d'un coup. L'air nous communique le monde, mais non pas à la manière dont le monde habite la terre. L'air nous le communique un peu comme un ballon. L'enveloppe du ballon dégonflé, c'est l'air. Si nous gonflons le ballon, nous le sentons prendre sa forme, mais le monde qui paraît craquer s'envole avant, et nous pouvons même en faire un ballon dirigeable avec attaché sur lui un message de paix, alors que si nous recevions le monde comme il habite la terre ou comme le regard électrocute, nous recevrions un bloc qui nous momifierait, nous si petits et lui si grand, si riche de tant de vies qui s'écrasent dessus, lui si petits et nous si grands, nous qui aimons bien le grand monde, mais qui préférons encore notre petit monde intérieur parce que les dîners en ville quand on a passé la quarantaine, ce n'est pas bon pour le coeur : trop de cholestérole, ça donne des infractus ! L'air nous communique le monde qu'il enclot dans notre coeur.

 

 

 

- Mais maman, sur l'île du coeur, y a-t-il de la terre ?

 

On est passé de l'éclusier à la boulangère, car la boulangère pétrit la terre et

 

- de vrai, la terre est la farine dont on a fait l'homme. Le Pain de vie avait un précédent : Dieu avait pétri l'homme à partir de la poussière. L'homme est une créature pulvérisée. L'homme pétrifié sorti des mains de Dieu avait un coeur de femme. Sa pétrification l'a rendu coeur d pierre, mais il n'est pas dans la nature du coeur de gravir les montagnes ni même de les déplacer pour faire paysage avec elles. Le coeur est un modeste, un terreux, un terré qui aime le grand monde, mais plus encore le petit, qui n'a de prétention qu'à l'imagination et qui ne se prévaut pas de battre, qui n'est pas fâché non plus avec la terre, qui ne la considère pas comme une exilière, mais comme une auxiliaire qui l'aide à battre. Le coeur et la terre battent le blé humain. L'homme en meurt, qui les épuise, mais "si le grain de blé ne meurt...

" On connaît la suite. Il y a donc de la terre dans le coeur au sens où la terre, matière du coeur, est irréductiblement matérielle, et destinée comme le corps à ce qu'on la ramène à ce statut d'infamie selon lequel la terre meuble ne serait pas noble, car il n'est pas noble d'être le meuble de quelqu'un ou le jouet, le ballon d'un enfant.  La terre meuble et le corps ne seraient donc pas nobles, aveuglés par le regard qui rôde pour mieux momifier d'électrocution tout ce qu'il prétend apprivoiser et qu'il attache à soi.

 

Coeur, n'aie pas honte d'être enfant de la terre, puisque Celui Qui est descendu du ciel n'a pas non plus  rougi d'être applé Pain de vie ou Fils de l'homme pour que nous soyons appelés enfants de Dieu et nous le sommes. Ne te révolte pas de n'être qu'adopté :  il faut te défaire du préjugé bourgeois que l'adoption porterait la marque de la bâtardise qui serait une tare ou de l'infamie dont on couvre les mères porteuses. Il n'y a pas d'adoption contre laquelle on doive se récrier, où l'affection a opéré une pater ou une maternification, une patrification qui joue à revers de la pétrification dans laquelle on a vu l'homme sortir à l'état brute, juste surgi des mains de son Père Dieu, comme on le retrouve pétrifié à chaque naissance au sortir du ventre maternel, brute, sans langage, sans état de conscience, sans conscience qu'il est un homme, tout juste criant et pleurant de devoir vivre, ne sachant s'il a été tiré du néant pour cela, mais sentant que ça le gêne parce qu'en naissant, il contracte une dette que le créancier risque de n'avoir de cesse de lui rappeler et de lui réclamersa vie entière, lui qui étant trop pauvre n'aura jamais de quoi la rembourser.

 

Il y a de la terre dans ton coeur, mais il ne faut pas que tu croies que la terre te statufie, te bustifie. Il ne faut pas que tu aies les ambitions d'un François Mauriac, écrivain aux mains jointes qui n'avait qu’un but dans la vie : qu'on lui fît un buste dans son lycée du vieux Bordeaux, son "Bordeaux intérieur" comme il disait, luiqui comme ils disent avaient des tendances qu'il n'a pas assouvies, mais pourquoi taguer sur les murs de la vie privée ? Il ne faut pas que tu te ratatines dans l'ambition d'un Sartre qui se met en devoir d'exister parce qu'un jour, son Roquentin de héros s'est aperçu en regardant un arbre qu'il y avait incohérence à ce que les racines d'effritement débouchassent en grimpant sur un tronc si solide. Il faut que tu te réconcilies avec la terre, car elle est un fondement très solide de l'existence. Tu n'as aucune raison de la mépriser, elle ne t'a rien fait, elle ne t'a fait que du bien : elle t'a accueilli, elle te le rappelle un peus ouvent, c'est vrai, mais que veux-tu ? La terre est un peu matronne et elle n'est pas le ciel : elle est sa gouvernante. Le ciel comme tout prêtre avait besoin d'une bonne, il a trouvé la terre qui a été assez poire pour te donner du fruit défendu et à lui bien du soulagement.

 

 

 

- Y a-t-il du ciel dans le coeur? Mais j'y pense, le ciel est-il un élément? On n'en parle jamais dans ma nomenclature tactile.

 

- Tu penses, mais sais-tu définir le ciel ?

 

- Quand j'étais petit...

 

- Tu reviens toujours à ce que tu faisais quand tu étais petit ou à ce que te disait ta maman.

 

- C'est que l'enfance fait partie de nos incunables. Qui saura faire comme si l'enfance n'était pas faite pour que l'on pleure dessus ? Nous sommes tous des enfants inconsolables. Ma maman me disait donc comme tu l'as deviné quand j'étais petit et que je croyais aux petits bateaux comme le père Noël que le ciel était bleu, que le ciel était au-dessus de ma tête, cette tête avec laquelle j'avais l’heur de réfléchir, et que le ciel était immense, illimité, et que je n'avais pas seulement Dieu pour horizon de mon coeur : je pouvais bien mieux me glorifier d'être la demeure de Dieu et que Dieu se soit fait une retraite de l'île de mon coeur.

"Mais si le coeur est une île, a-t-on jamais vu une île qui bat ?" lui demandais-je.

"J'ai déjà résolu la question du matérialisme" me répondait-elle. "Tu es cartésien et veux pousser l'âme et le corps au divorce. Ou bien c'est que tu te situes plus dans le conflit que tu ne le crois ou ne le voudrais. Le problème n'est pas là te dis-je, crois-moi, crois-en l'amour de ta mère. Je ne te blâme pas d'être dans le conflit, de te situer là comme on se veut de quelque par où l'on s'ensevelit : tu fais comme un chacun, tu te bats la coulpe. Aujourd'hui les psys ont appris à dire aux gens qu'ils se culpabilisent, c'est par litote, ça fait plus doux ! Tu te bats comme tout le monde avec le péché originel parce que tu te demandes le pourquoi de cette coulpe. Tu te demandes pourquoi tu serais coupable avant d'être né ou comment tu aurais chu avant d'être aimé. Crois-tu qu'il ne m'ait jamais effleurée que je fusse coupable de t'avoir mis au monde, non seulement parce que le monde est en crise et que la vie est une tourmente, mais parce que je t'ai inoculé comme on l'a fait pour moi la responsabilité d'une faute que tu n'as pas commise. Ton problème humain n'est pas de divorcer, mais de te marier avec toi-même.

 

De ce que les îles sont séparées du reste du monde par des bras de silence, vas-tu te demander si elles sont seules sur  terre ou bien n'y habitent pas ? Non bien sûr.  Alors il faudra bien que tu t'acclimates à l'idée que tu n'es pas seul au monde, que le monde est ton allié et qu'en même temps, tu ne sois pas rebuté à l'idée d'avoir une âme qui habite en toi, d'être la demeure de quelque chose qui te fait battre la pensée comme un divin prémice. Ceux qui se demandent si le ciel est un élément matériel se la jouent quand ils se trouvent investis d'une âme, mais le ciel horizontal n'est-il pas aussi celui des idées? Platon n'en doutait pas, il a eu son brevet de philosophie dès avant le certificat d'étude. Le ciel est une idée ou plus exactement, tout est précédé dans le ciel d'une idée et l'idée t'agite, te bat dans le corps, le corps est un agitateur d'idées... Les idées s'agitent dans ta tête à te faire exploser le crâne, à te traumatiser crâniennement, à te faire frimer de génie. Si ton coeur est une île, c'est l'île du ciel car il bat au rythme des idées en commençant par te donner l'idée de toi-même.

 

Mais je sens bien que trépignant, tu répugnes à l'idée que le ciel ne soit renfermé en toi que dans l'idée et au plus creux de l'idée, dans l'idée rachitique que tu te fais de toi-même, non que tu ne te surestimes pas, mais c'est si petit un moi à l'échelle du monde ou à l'épreuve de l’univers.

 

- À propos, le monde serait-il une échelle qui pourrait mener au ciel ?

 

- Il est vrai que le ciel dans sa rétractilité a joué de sa propriété pour s'abîmer dans cet île du ciel qu'est ton coeur où il habite. À propos, par égard pour lui, tu pourrais ériger à l'entrée de ton coeur cette enseigne : bienvenu sur l'île du ciel ! Comme ça, il y aurait un petit peu plus de chances pour que ceux que tu aimes ne le prennent jamais pour un hôtel encore qu'il se trouve, c'est vrai, des gens qui sont assez lourdement touristes pour n'aimer les îles que parce qu'elles sont dans le Pacifique et que le ciel et la mer y sont bleus, mais console-toi de ce que le ciel se soit rétracté en entrant en toi parce que tu aurais été trop matériellement petit pourl'accueillir s'il s'était présenté comme hôte en tout son gigantisme ! Console-toi : je suis ta mère, il est juste que je te console. Je sais que tu recherches les consolations de Dieu au lieu de chercher le Dieu des consolations. Ne parlons même pas de Boèce qui écrivit la Consolation de philosophie ! Je sais qu'il se trouvera des psys enfiévrés pour dire que si j'interviens à ce stade ultime de ton écrit puisque ce poème est le dernier de ton Élémentaire d’épreuves, c'est parce que petit, tu n'as pas trouvé de consolation dans ma manière de te faire arrêter de pleurer. Je me console : les psys disent toujours du mal des mères, sans compter qu’un plus grand venain te guette : tu entendras des gens beaucoup plus sournois et sérieux, de ceux qui transposent toujours les moindres choses sur le plan le plus élevé faute d'inclination pour l'inclination, en un mot des saints tristes ou de tristes saints pour afirmer à l'opposé des psys qu'il n'y a de consolation qu'illusioire et qu'en tout cas, il ne faut pas en chercher dans l'oraison du dessèchement où Dieu ne dit jamais rien et où c'est tant mieux qu'on ne Le sente pas, mais qu'on y croie ! Il y a du vrai dans cette parole des tristes saints qu'on n'est jamais consolé en ce moonde, qu'on n'est jamais consolé de vivre, du moins c'est ce qu'on croit, car si "de trop vivre, ça fait mourir", la mort n'est qu'un auxiliaire de la beauté, qui nous fait pleurer pour mouiller la terre d'une manière acceptable et non statique. Je sais donc d'avance que mes consolations ne te consoleront pas, mais cela ne doit pas m'empêcher de te dire pour la gouverne et satisfaction de ton intelligence, cela ne doit pas me servir de prétexte à retenir et à garder pour moi qu'il est heureux que le ciel se soit rétracté en toi comme il fut heureux au moment où Jésus a été transfiguré devant eux que Pierre, Jacques et Jean aient été là. Le ciel en se rétractant a concentré toute sa grandeur déployée dans une intuition extrêmement magnétique, car tout ce qui se cherche un centre fait de ce centre une fois trouvé un point géométrique au pouvoir d'aimantation démentiel ! Un pouvoir attractif que c'est le drame de la terre de ne pas avoir, elle qui est privée de centre et de ligne imaginaire. Les médiévaux n'étaient pas si bêtes de l'avoir faite plate. Ils voulaient la consoler ou se consoler d'elle. Toi, mon inconsolable, tu as un centre et le ciel s'est magnifiquement concentré pour venir, comme s'il n'était qu'une modeste potentialité comme toi, habiter ce centre. Quand tu grandiras, tu verras, mon homme, tu te prendras de passion que tu croiras adoratrice pour les narcissiques idéales qui se réveillent chaque matin en se prenant pour le centre du monde et en croyant qu’on doit les adorer. Dois-je te prodiguer ce conseil maternel de te diriger vers le centre de toi-même ou du moins te creuser si profond que tu le trouves ? Mon conseil, tu ne le suivrais pas et ton corps ne te le permettrait pas. Seulement, mets ta main sur ton coeur : tu sentiras comment palpite le ciel ! Tu sentiras, non pas le ciel manger dans ta main, non pas ta main manger le ciel (la paume de ta main n'est pas une dévoreuse, c'est une caresseuse comme les femmes langoureuses, qui croient qu’on doit les adorer d’être gourmandes et paresseuses), mais le ciel se poser sur ta main pour que si tu la retournes et si tu caresses, palpite la peau de qui tu accroches, toi, non pas la gouvernante, mais le gouvernail du ciel qui le mènes en bateau de l'île de ton coeur aux îles d'altérité loyale en passant sur la mer du siècle et du monde. Tu deviendras enseigne de vaisseau et si tu poses une nouvelle fois ta main sur ton coeur, tu sentiras aussi que je suis ta mère, moi ou le Cœur immaculé de Marie, si tu ne peux souffrir que ta mère ait fait des choses ! 

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