MAMAN-PEINTURE
On m'a dit, Maman, que
tu étais douée...
Dis-moi : comment tu fais pour y
arriver ? !
Moi, je crois que si je devais peindre une toile,
Je regarderais et puis... Je mettrais les voiles.
Je suis touché, tu dis
que je suis un artiste.
Je ne sais pas, je crois que je suis très sensible,
Mais je pense être aussi de nature égoïste :
quelle est donc l'unité où je serai crédible ?
Maman, y a-t-il un lien
entre être artiste et triste,
Lorsque s'éclaire un rai de générosité
et que l'on trouve ça si beau, si fantaisiste,
que, comme un rien, on pourrait se mettre à
pleurer ! ?
Je n'ai jamais appris ce
que c'est dessiner...
Pourtant je le devine et m'y suis essayé.
Ne voyant pas, ce m'est un talent difficile
Que celui de trouver des formes volubiles.
On sent que le
papier sait dire franchement
Que, tout comme une femme, il veut qu'on le
caresse ;
Il ne faut pas remettre et différer longtemps
Ni lésiner de l'encre à chatouiller ses fesses.
Angoisse est l'écrivain
devant sa page blanche,
Mais se ressaisit car le papier est cassant...
La toile elle intimide et veut que l'on s'épanche
Et qu'on n'ait pas choisi sa matière en passant.
Il y a certain
bruit que fait quand on le touche
Le papier qui se rit de nos mains mal à
l'aise ;
Mais la toile se crispe, elle joue les farouche
Et les frémissements de femme en charentaises.
Il y a certain
bruit: le papier se chatouille
Mais se reprend sitôt et jamais ne s'emballe ;
Le pinceau se prépare... Attention... Il se
mouille !
La toile est comme lui, ils sont vraiment aux
poils...
Le pinceau est velu et
se trouve virile :
Il sait que la toile aime à crier qu'elle a
mal !
Pourquoi voudriez-vous que pour elle il
s'épile ?
Entre elle et lui, ces cris sont un jeu très banal.
Il ne fait que la
picoter de rêchottes morsures.
Elle de se récrier : "Au secours, ô
blessures !"
S'ils jouent à tout cela, c'est qu'ils s'entendent
bien,
Et la toile sera réceptive au dessin.
Je te revois, Maman, tous tes pots de couleur
Posés tout près de toi, visant le chevalet ;
Ces couleurs qui pour moi n'étaient que des odeurs,
Qu'un badigeon qu'à la toile, je jalousais.
Car j'aimais bien les
crèmes et les froides pommades
Qui promettaient ses chances à tout mon épiderme
D'aimer qu'on le badine, pas autrement malade
Qu'en son désintérêt pour tout travail charnel.
Je voyais les
couleurs en sentant les dessins
Et je t'écoutais peindre ou, par intermittences,
Plongée dans tes couleurs, promettre à la nubile
Le maquillage au lait qui la rendait fébrile.
Et ta main n'était pas
étrangère à sa fièvre,
Qui, quand elle caressait, était un peu
râpeuse ;
Mais c'était une main-pinceau sans gants ni mièvre
Qui veloutait la toile en satin de vareuse.
C'est vrai qu'assis à ne
rien faire, souvent,
A m'emplir de senteurs
qui ne me gênaient pas,
Je m'ennuyais et je sentais passer le temps :
Je n'étais qu'un enfant, un vrai, tu ne crois
pas ?
Mon imagination
faisait tous mes voyages
Sans bagage au jardin devant notre villa.
Rien n'était plus lointain pour moi qu'un paysage,
Que tu
reproduisais, je ne savais pourquoi.
J'aimais beaucoup
rêver - toucher m'était
hostile -
A des guili-guili, à rire dans tes bras.
Car j'étais un enfant, un enfant paraît-il
Prolixe en anecdotes à ne s'arrêter pas.
Je te déconcentrais, je
ne pouvais me taire,
tu m'envoyais alors voir si dans la cuisine
Tu n'étais pas... Et moi, j'y vais et puis je
flaire :
"non non Maman, dans la cuisine, tu n'es
pas."
Moi, j'étais un
enfant à tête et à longs cils,
Tout fou d'être écouté et d'entendre à la
fois ;
La peinture entre nous coupait les petits fils
De causants entretiens que tu ne boudais pas.
En soi, l'ubiquité ne
m'aurait gêné guère,
Mais l'habitude était ancrée qu'on n'y crût pas.
Je regrettais peut-être un peu que sur la terre,
On ne pût être qu'à un endroit à la fois.
Dans le dessin, c'était
ce qui me gênait le plus :
Que l'on reproduisît les anges déjà là.
Sur tes portraits parfois, on pouvait être vu
Alors que chaque jour on parler avec toi.
Je n'aimais pas que tu
figurasses des natures mortes :
Que venais-tu fouiller dans les ombres du
paradis...
Puisque tu savais peindre plus intéressant qu'une
carotte ?
J'ai toujours cru et attaché à l'homme un trop
grand prix !
Tu faisais beaucoup de
portraits d'enfants,
Tu inventais des contes éducatifs.
Tu voulais faire aimer le différent
A l'enfant ballottés et agressif.
Amnistie
internationale t'employait
Pour composer semblables bandes dessinées
Où, à travers le différent, c'était
Peut-être moi que tu faisais aimer.
Maman, je n'ai pas dit
que tu peignais pour moi,
Car tu avais un don et tu le travaillais.
Et tu voulais m'ouvrir au travail de tes doigts,
Pour m'initier à ta couleur, à tes secrets.
Je ne regrette pas
ces heures ennuyeuses
Où t'écouter peindre ne me suffisait pas
Et où je te forçais à mesure de creuses
Questions à
quitter ton élément à toi
Que j'avais beau
aimé apprendre, que veux tu ?
J'estimais en avoir carrément fait le tour...
Si tu m'avais joué un petit impromptu,
J'aurais pu t'échanger quelques notes de cour.
Tu me disais :
"Imagine-moi travaillant !"
Mais le charme en était monotone et déjà
(Je n'aurais pas été un véritable enfant),
Je ne m'intéressais qu'à ma maman à moi !
Et pourtant
j'aurais dû deviner tes palettes
Et chercher davantage à comprendre ton style ;
Mais ayant trop tendance à vivre dans ma tête,
Le voyage en couleurs m'était trop difficile.
L'archet de mon violon
n'était pas militaire,
J'aimais mieux me couler dans une évasion
Où je prenais sur moi un envol salutaire,
M'enchaînant à tout fuir dont je saurais le nom.
La peinture se moulait
dans cette limbe douce ;
Je n'étais pas friand que tu me décrivisses
Ton dessin, ses enfants et leur jolie
frimousses :
Ils me privaient de toi, envahissant notre isthme.
Je m'en faisais
musique à notes débridées
Et plus tard harmonies où pleuraient des accords.
Moi, le compositeur aux bains du gynécée,
J'improvisais dans le sang de tes enfants morts...
J'avais horreur des
larmes et du lait, pas de l'eau,
Je n'aimais le liquide que fluide et blanc-sirop.
Je trouvais la saveur perfide à la beauté,
Moi que seules des caresses savaient enchanter.
Je n'étais pas Oedipe et
j'aimais bien mes frères,
Et j'étais trop petit pour affecter la mort,
Mais j'aimais jouer seul
du piano pour ma mère
Et cherchais tes
pinceaux dans mes frasques sonores...
Paris, le 13 mai 2000
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