"Je crois bien que j'ai trouvé mon ciel sur la terre, car mon ciel, c'est Dieu et Dieu est dans mon âme" (sainte Élizabeth de la Trinité).
- "Une
île, entre le ciel et l'eau." Tant qu'il y aura des îles... Mais y a-t-il
de l'eau dans le coeur ? Il faut que je demande à l'éclusier, si le coeur
est une écluse, une cage à étages qui renferme l'amour.
- Mais non,
mon gros bêta, s'il y avait de l'eau dans le coeur, il ne battrait pas !
Il ferait comme ta montre qui n'est pas une montre de plongée. Ce n'est pas la
vocation du temps de plonger dans l'homme, mais celle de l'homme de plonger
dans le temps pour en tirer à coups de "quand" les souvenirs du fond
du sac. Dans le coeur, il n'y a pas d'eau, mais il y a des aiguilles : les
aiguilles du souvenir qui marquent la tristesse ou la joie, suivant qu'on est
plus ou moins porté à aimer l'une ou l'autre. Dans le coeur, il n'y a pas
d'eau. Le coeur est entre l'eau. Est-ce à dire qu'il faut y laisser entrer
l'eau ? C'est affaire de qui veut couler, car l'eau est toujours celle du
remords. L'île du coeur habite à côté de l'eau de la mort, mais l'eau de la
mort ne doit pas inonder l'île du coeur, sous peine de lui masquer le ciel.
Est-ce la vocation de la mort de noyer le ciel ? La vocation de la mort
est d'y faire monter, non de le noyer. Le ciel, ça ne case pas des pipes !
Mes réponses non plus ne cassent pas des briques, mais je deviens
casse-noisettes et toi, ton coeur se brise. Ton coeur se bat pour que tu vives.
Il enferme ton sentiment dans l'intelligence pour que celui-ci ne te détruise
pas. Il ne faut poser de questions qu'entre deux battements de coeur.
- Alors dans le
coeur, y a-t-il de l'air ?
- "Maman,
les p’tits bateaux qui vont sur l'au ont-ils des jambes ?" "Mais
non, mon gros bêta, s'ils en avaient ils ne marcheraient pas !" Hé
oui, mon joli candide, dans le coeur il y a de l'air, ou plus exactement autour
du coeur, mais pas autour comme l'eau qu'il s'agit de ne pas laisser entrer
pour ne pas être noyé par une passivité eirrespirable. L'air justement, il faut
l'inspirer pour oxygéner le sang. Cet air azoté quand il sort de nous nous
purifie quand il y entre. C'est ce qui entre en nous avec l'intention de sortir
qui nous est bénéfique.
L'air nous fait
du bien. Je t'ai parlé des jambes des petits bateaux. As-tu remarqué que nous
n'avons que les pieds sur terre? Tout le reste de notre corps et surtout notre
nez vit dans l'injonction du ciel, dans sa nostalgie, est attiré par le ciel,
mais est cloué par la terre fixiste dans l’appesanteur gravitationnelle. Tout
ce qui fixevoudrait nous rassurer, mais c'est une réassurance trompeuse. La
terre que nous croyons imobile ne cesse de tourner et nous n'en sentons rien,
mais c'est dans ce tournoiement que notre vie s'émerveille. C'est ce
tournoiement qui excuse la terre de nous clouer à elle. L'air n'a pas ce
pouvoir de tourner toujours dans le même sens, ni cette prétention de se fixer
en nous. Il nous visite imprégné de la part du monde qu'Il a visitée et va
visiter le monde imprégné de nous, purifié à chaque fois avant d'entrer, non de
ce qu'il frappe comme l'orgue du coeur à tuyaux sanguins, mais de ce qu'il
voyage. L'air, c'est un courant qui relie en déplaçant et un courant d'air, ça
brise le coeur, ça déchaîne une passion qui fait semblant de s'en aller, mais
ça relie matériellement les êtres entre eux, pas comme le regard qui décrit en
clinicien ou communie en psychologue technicien.
Il y a de l'air
autour du coeur. L'air est le soleil de l'île du coeur, mais il ne la brûle
pas, il n'échauffe pas. Il atténue les passion en s'en faisant vecteur. En les
prenant sur son dos, il ne les assure pas de ne pas tomber. Il les enveloppe de
temps sans durée pour qu'elle ne nous tombe pas trop lourdes sur le coeur, écrasantes de la masse d'émotion qu'elles
contiennent en puissance de foudroyer d'un coup. L'air nous communique le
monde, mais non pas à la manière dont le monde habite la terre. L'air nous le communique
un peu comme un ballon. L'enveloppe du ballon dégonflé, c'est l'air. Si nous
gonflons le ballon, nous le sentons prendre sa forme, mais le monde qui paraît
craquer s'envole avant, et nous pouvons même en faire un ballon dirigeable avec
attaché sur lui un message de paix, alors que si nous recevions le monde comme
il habite la terre ou comme le regard électrocute, nous recevrions un bloc qui
nous momifierait, nous si petits et lui si grand, si riche de tant de vies qui
s'écrasent dessus, lui si petits et nous si grands, nous qui aimons bien le
grand monde, mais qui préférons encore notre petit monde intérieur parce que
les dîners en ville quand on a passé la quarantaine, ce n'est pas bon pour le
coeur : trop de cholestérole, ça donne des infractus ! L'air nous
communique le monde qu'il enclot dans notre coeur.
- Mais
maman, sur l'île du coeur, y a-t-il de la terre ?
On est passé de
l'éclusier à la boulangère, car la boulangère pétrit la terre et
- de vrai,
la terre est la farine dont on a fait l'homme. Le Pain de vie avait un
précédent : Dieu avait pétri l'homme à partir de la poussière. L'homme est
une créature pulvérisée. L'homme pétrifié sorti des mains de Dieu avait un
coeur de femme. Sa pétrification l'a rendu coeur d pierre, mais il n'est pas
dans la nature du coeur de gravir les montagnes ni même de les déplacer pour
faire paysage avec elles. Le coeur est un modeste, un terreux, un terré qui
aime le grand monde, mais plus encore le petit, qui n'a de prétention qu'à
l'imagination et qui ne se prévaut pas de battre, qui n'est pas fâché non plus
avec la terre, qui ne la considère pas comme une exilière, mais comme une
auxiliaire qui l'aide à battre. Le coeur et la terre battent le blé humain.
L'homme en meurt, qui les épuise, mais "si le grain de blé ne meurt...
" On connaît
la suite. Il y a donc de la terre dans le coeur au sens où la terre, matière du
coeur, est irréductiblement matérielle, et destinée comme le corps à ce qu'on
la ramène à ce statut d'infamie selon lequel la terre meuble ne serait pas
noble, car il n'est pas noble d'être le meuble de quelqu'un ou le jouet, le
ballon d'un enfant. La terre meuble et
le corps ne seraient donc pas nobles, aveuglés par le regard qui rôde pour
mieux momifier d'électrocution tout ce qu'il prétend apprivoiser et qu'il
attache à soi.
Coeur, n'aie pas
honte d'être enfant de la terre, puisque Celui Qui est descendu du ciel n'a pas
non plus rougi d'être applé Pain de vie
ou Fils de l'homme pour que nous soyons appelés enfants de Dieu et nous le
sommes. Ne te révolte pas de n'être qu'adopté : il faut te défaire du préjugé bourgeois que
l'adoption porterait la marque de la bâtardise qui serait une tare ou de
l'infamie dont on couvre les mères porteuses. Il n'y a pas d'adoption contre
laquelle on doive se récrier, où l'affection a opéré une pater ou une
maternification, une patrification qui joue à revers de la pétrification dans
laquelle on a vu l'homme sortir à l'état brute, juste surgi des mains de son
Père Dieu, comme on le retrouve pétrifié à chaque naissance au sortir du ventre
maternel, brute, sans langage, sans état de conscience, sans conscience qu'il
est un homme, tout juste criant et pleurant de devoir vivre, ne sachant s'il a
été tiré du néant pour cela, mais sentant que ça le gêne parce qu'en naissant,
il contracte une dette que le créancier risque de n'avoir de cesse de lui
rappeler et de lui réclamersa vie entière, lui qui étant trop pauvre n'aura
jamais de quoi la rembourser.
Il y a de la
terre dans ton coeur, mais il ne faut pas que tu croies que la terre te
statufie, te bustifie. Il ne faut pas que tu aies les ambitions d'un François
Mauriac, écrivain aux mains jointes qui n'avait qu’un but dans la vie : qu'on
lui fît un buste dans son lycée du vieux Bordeaux, son "Bordeaux
intérieur" comme il disait, luiqui comme ils disent avaient des tendances
qu'il n'a pas assouvies, mais pourquoi taguer sur les murs de la vie
privée ? Il ne faut pas que tu te ratatines dans l'ambition d'un Sartre
qui se met en devoir d'exister parce qu'un jour, son Roquentin de héros s'est
aperçu en regardant un arbre qu'il y avait incohérence à ce que les racines
d'effritement débouchassent en grimpant sur un tronc si solide. Il faut que tu
te réconcilies avec la terre, car elle est un fondement très solide de
l'existence. Tu n'as aucune raison de la mépriser, elle ne t'a rien fait, elle
ne t'a fait que du bien : elle t'a accueilli, elle te le rappelle un peus
ouvent, c'est vrai, mais que veux-tu ? La terre est un peu matronne et
elle n'est pas le ciel : elle est sa gouvernante. Le ciel comme tout
prêtre avait besoin d'une bonne, il a trouvé la terre qui a été assez poire
pour te donner du fruit défendu et à lui bien du soulagement.
- Y a-t-il
du ciel dans le coeur? Mais j'y pense, le ciel est-il un élément? On n'en parle
jamais dans ma nomenclature tactile.
- Tu penses,
mais sais-tu définir le ciel ?
- Quand
j'étais petit...
- Tu reviens
toujours à ce que tu faisais quand tu étais petit ou à ce que te disait ta
maman.
- C'est que
l'enfance fait partie de nos incunables. Qui saura faire comme si l'enfance
n'était pas faite pour que l'on pleure dessus ? Nous sommes tous des
enfants inconsolables. Ma maman me disait donc comme tu l'as deviné quand
j'étais petit et que je croyais aux petits bateaux comme le père Noël que le
ciel était bleu, que le ciel était au-dessus de ma tête, cette tête avec
laquelle j'avais l’heur de réfléchir, et que le ciel était immense, illimité,
et que je n'avais pas seulement Dieu pour horizon de mon coeur : je
pouvais bien mieux me glorifier d'être la demeure de Dieu et que Dieu se soit
fait une retraite de l'île de mon coeur.
"Mais si le
coeur est une île, a-t-on jamais vu une île qui bat ?" lui
demandais-je.
"J'ai déjà
résolu la question du matérialisme" me répondait-elle. "Tu es
cartésien et veux pousser l'âme et le corps au divorce. Ou bien c'est que tu te
situes plus dans le conflit que tu ne le crois ou ne le voudrais. Le problème
n'est pas là te dis-je, crois-moi, crois-en l'amour de ta mère. Je ne te blâme
pas d'être dans le conflit, de te situer là comme on se veut de quelque par où
l'on s'ensevelit : tu fais comme un chacun, tu te bats la coulpe.
Aujourd'hui les psys ont appris à dire aux gens qu'ils se culpabilisent, c'est
par litote, ça fait plus doux ! Tu te bats comme tout le monde avec le
péché originel parce que tu te demandes le pourquoi de cette coulpe. Tu te
demandes pourquoi tu serais coupable avant d'être né ou comment tu aurais chu
avant d'être aimé. Crois-tu qu'il ne m'ait jamais effleurée que je fusse
coupable de t'avoir mis au monde, non seulement parce que le monde est en crise
et que la vie est une tourmente, mais parce que je t'ai inoculé comme on l'a
fait pour moi la responsabilité d'une faute que tu n'as pas commise. Ton
problème humain n'est pas de divorcer, mais de te marier avec toi-même.
De ce que les
îles sont séparées du reste du monde par des bras de silence, vas-tu te
demander si elles sont seules sur terre
ou bien n'y habitent pas ? Non bien sûr.
Alors il faudra bien que tu t'acclimates à l'idée que tu n'es pas seul
au monde, que le monde est ton allié et qu'en même temps, tu ne sois pas rebuté
à l'idée d'avoir une âme qui habite en toi, d'être la demeure de quelque chose
qui te fait battre la pensée comme un divin prémice. Ceux qui se demandent si
le ciel est un élément matériel se la jouent quand ils se trouvent investis
d'une âme, mais le ciel horizontal n'est-il pas aussi celui des idées? Platon
n'en doutait pas, il a eu son brevet de philosophie dès avant le certificat d'étude.
Le ciel est une idée ou plus exactement, tout est précédé dans le ciel d'une
idée et l'idée t'agite, te bat dans le corps, le corps est un agitateur
d'idées... Les idées s'agitent dans ta tête à te faire exploser le crâne, à te
traumatiser crâniennement, à te faire frimer de génie. Si ton coeur est une
île, c'est l'île du ciel car il bat au rythme des idées en commençant par te
donner l'idée de toi-même.
Mais je sens bien
que trépignant, tu répugnes à l'idée que le ciel ne soit renfermé en toi que
dans l'idée et au plus creux de l'idée, dans l'idée rachitique que tu te fais
de toi-même, non que tu ne te surestimes pas, mais c'est si petit un moi à
l'échelle du monde ou à l'épreuve de l’univers.
- À propos,
le monde serait-il une échelle qui pourrait mener au ciel ?
- Il est vrai que le ciel dans sa rétractilité a joué de sa propriété pour s'abîmer dans cet île du ciel qu'est ton coeur où il habite. À propos, par égard pour lui, tu pourrais ériger à l'entrée de ton coeur cette enseigne : bienvenu sur l'île du ciel ! Comme ça, il y aurait un petit peu plus de chances pour que ceux que tu aimes ne le prennent jamais pour un hôtel encore qu'il se trouve, c'est vrai, des gens qui sont assez lourdement touristes pour n'aimer les îles que parce qu'elles sont dans le Pacifique et que le ciel et la mer y sont bleus, mais console-toi de ce que le ciel se soit rétracté en entrant en toi parce que tu aurais été trop matériellement petit pourl'accueillir s'il s'était présenté comme hôte en tout son gigantisme ! Console-toi : je suis ta mère, il est juste que je te console. Je sais que tu recherches les consolations de Dieu au lieu de chercher le Dieu des consolations. Ne parlons même pas de Boèce qui écrivit la Consolation de philosophie ! Je sais qu'il se trouvera des psys enfiévrés pour dire que si j'interviens à ce stade ultime de ton écrit puisque ce poème est le dernier de ton Élémentaire d’épreuves, c'est parce que petit, tu n'as pas trouvé de consolation dans ma manière de te faire arrêter de pleurer. Je me console : les psys disent toujours du mal des mères, sans compter qu’un plus grand venain te guette : tu entendras des gens beaucoup plus sournois et sérieux, de ceux qui transposent toujours les moindres choses sur le plan le plus élevé faute d'inclination pour l'inclination, en un mot des saints tristes ou de tristes saints pour afirmer à l'opposé des psys qu'il n'y a de consolation qu'illusioire et qu'en tout cas, il ne faut pas en chercher dans l'oraison du dessèchement où Dieu ne dit jamais rien et où c'est tant mieux qu'on ne Le sente pas, mais qu'on y croie ! Il y a du vrai dans cette parole des tristes saints qu'on n'est jamais consolé en ce moonde, qu'on n'est jamais consolé de vivre, du moins c'est ce qu'on croit, car si "de trop vivre, ça fait mourir", la mort n'est qu'un auxiliaire de la beauté, qui nous fait pleurer pour mouiller la terre d'une manière acceptable et non statique. Je sais donc d'avance que mes consolations ne te consoleront pas, mais cela ne doit pas m'empêcher de te dire pour la gouverne et satisfaction de ton intelligence, cela ne doit pas me servir de prétexte à retenir et à garder pour moi qu'il est heureux que le ciel se soit rétracté en toi comme il fut heureux au moment où Jésus a été transfiguré devant eux que Pierre, Jacques et Jean aient été là. Le ciel en se rétractant a concentré toute sa grandeur déployée dans une intuition extrêmement magnétique, car tout ce qui se cherche un centre fait de ce centre une fois trouvé un point géométrique au pouvoir d'aimantation démentiel ! Un pouvoir attractif que c'est le drame de la terre de ne pas avoir, elle qui est privée de centre et de ligne imaginaire. Les médiévaux n'étaient pas si bêtes de l'avoir faite plate. Ils voulaient la consoler ou se consoler d'elle. Toi, mon inconsolable, tu as un centre et le ciel s'est magnifiquement concentré pour venir, comme s'il n'était qu'une modeste potentialité comme toi, habiter ce centre. Quand tu grandiras, tu verras, mon homme, tu te prendras de passion que tu croiras adoratrice pour les narcissiques idéales qui se réveillent chaque matin en se prenant pour le centre du monde et en croyant qu’on doit les adorer. Dois-je te prodiguer ce conseil maternel de te diriger vers le centre de toi-même ou du moins te creuser si profond que tu le trouves ? Mon conseil, tu ne le suivrais pas et ton corps ne te le permettrait pas. Seulement, mets ta main sur ton coeur : tu sentiras comment palpite le ciel ! Tu sentiras, non pas le ciel manger dans ta main, non pas ta main manger le ciel (la paume de ta main n'est pas une dévoreuse, c'est une caresseuse comme les femmes langoureuses, qui croient qu’on doit les adorer d’être gourmandes et paresseuses), mais le ciel se poser sur ta main pour que si tu la retournes et si tu caresses, palpite la peau de qui tu accroches, toi, non pas la gouvernante, mais le gouvernail du ciel qui le mènes en bateau de l'île de ton coeur aux îles d'altérité loyale en passant sur la mer du siècle et du monde. Tu deviendras enseigne de vaisseau et si tu poses une nouvelle fois ta main sur ton coeur, tu sentiras aussi que je suis ta mère, moi ou le Cœur immaculé de Marie, si tu ne peux souffrir que ta mère ait fait des choses !