I
J’ai parcouru toutes les échelles
de la colonne de rigueur
Et ne l’ai pas trouvée suivant
mon plan de volubile ardeur.
J’ai ouï dire que la beauté
était liée d’un rapport intime
à l’ordre Via le cosmos.
Je l’ai cherchée à corps perdu.
Je me suis placé sous l’étreinte
de la contrainte, ai attendu.
J’ai trouvé l’attente longue comme la tige
Longiligne De l’éternité.
Rongeant mon frein, j’ai reconnu
Que La patience n’était pas mon fort,
De l’autre côté de l’échelle cosmique,
on m’a répondu en écho :
« Hé ho, ne sais-tu pas, comique,
qu’Où la force est bannie, de la patience,
de la contrainte ; qu’Où l’effort est ravi
dans les hauteurs béantes du confort
rien ne saurait sortir de bon ?
J’ai caressé les contreforts
de la colonne de rigueur,
Et je me suis senti frigorifié,
réfrigéré par la tige longiligne
De l’éternité sans saveur et sans fin,
Maigre à faire peur, dont on cherche la sève…
Voluptueux libidinal,
Mon chagrin n’est pas vertical.
II
Mon autre bras touchant une échelle
Que je n’avais pas vue d’abord,
Je me sui demandé quelle elle était,
Qui ne semblait pas embrasser
l’étreinte de la contrainte. Etait-ce
là l’échelle de Jacob tant vantée ?
Tandis que je m’interrogeai,
Un ange caressa ma tête
Et commença par me féliciter :
« Applaudis-toi de ne jamais céder.
à l’inquiétude et de t’interroger. »
Mais je ne fus pas satisfait
Par cette approbation de l’ange :
« Qui s’interroge toujours ne goûtera jamais
la quiétude replète de la satisfaction.
Il mène une vie désordonnée,
Soumise aux regrets vertébraux
Des choix qu’elle n’a su arrêter.
Une telle vie est invertébrée,
Et je ne suis pas une amibe,
Moi qui préférerais l’abîme !»
Mais l’ange ne s’en troubla point :
« Dans le désordre d’un jardin,
ne sévit que la touffeur,
cette serre de la tempérance,
qui assagit les herbes folles
en un foyer qui les consume
sans que la machine se mêle
des vapeurs de la fenaison,
des valeurs de la venaison,
ne te veux pas le grand veneur
que tu n’es pas, toi que taraudes
une soifsans persévérance. »
Mais je ne trouvai de repos
Que l’ange ne m’eût découvert
Comment monter sans inquiétude
Au grand ciel des aspirations
De mes élans vertigineux
De haute voltige, Que ne comblait
pas l’espérance impécunieuse
De son attente longiligne
Ma main posée sur la rigueur,
Rétablissait l’ordre du cœur
Dans la rigole de l’attente.
III
Les ailes prises dans mes cheveux
Tel une chauve souris qui se coince,
L’ange me fit poser les bras,
De part et d’autre des colonnes,
L’une de rigueur assurément,
L’autre bravant mon entendement.
Et de me chuchoter : « Ecoute !
D’où crois-tu que vienne le mot ?
De ces colonnes que tes bras plombent
Ou d’une hauteur qui les surplombe
Aux canopés et dans les cimes
Qui sont du chant les vraies racines ? »
Mais j’imposai silence à l’ange,
Trouvant qu’il m’en avait trop dit
Et ne voulant pas acquiescer
A chose que je n’eusse reçue.
L’ange se posa sur les herbes,
Ce qui, libérant mes cheveux,
Rendit mes oreilles accessibles
A une musique inégalable,
Que je reconnus, affranchi,
Pour cette musique intérieure
Jasant, ma source secrète,
Soit que je marchasse sur l’eau,
Dès l’aube, levé vers mes lignes
De pêche, reliées par des fils,
Soit que, couché sur le côté
Droit, je cherchasse à trouver
Le sommeil qui ne venait pas,
Le côté gauche ayant toujours,
Et ce depuis ma tendre enfance,
Favorisé mes cauchemars…
IV
L’ange observait depuis la terre
Si je recevais sa leçon.
Je le froissai d’une objection :
« Je t’avais demandé un mot,
et tu me donnes une musique. »
« Etends ton linge sur les colonnes !
Ne sais-tu pas que la musique
A toujours précédé les mots ?
Que le langage est TRANSCRIPTION
De la musique originelle ? »
« Mais la musique est sans dessein
intelligent ou cognitif.
Dans l’univers, on dit qu’il règne
Le silence des vis-à-vis. »
« Ne te fie pas à ces ragots.
Car quand tu as touché la tige
Longiligne de l’interminable
Attente de l’éternité,
Fus-tu pas le premier à dire
Que cela ne menait à rien ? »
« Je trouvais qu’elle était sans fin »,
répartis-je pour ne pas laisser
l’ange donner de l’éternité
une version blasphématoire.
« Mais crois-tu que je sois venu
à ta rescousse pour blasphémer ?
pour toi, je ne sais d’autre dessein
que ce qui se tait et se chante.
Nul indice n’est là où tu poses
tes bras longs, qui voudraient savoir
si la rigueur tient le monde,
ou si c’est la corde d’argent.
Ce n’est pas la corne de brume,
C’est la musique originelle,
Car celle-là seul est sans appel,
Pure intention précédant l’acte
Auquel on ne peut se soustraire
Que si l’on filtre de son « moi »
En faisant tant la sourde oreille
Que l’on rende le monde absurde.
Mais qui veut être virtuose,
Dans le désordre de son champ,
M’invoque afin que je la chante,
Cette musique de l’esprit,
Du temps qu’Il planait sur les eaux,
A travers ses mains ou sa voix.
Et ses voies sont bien misérables,
Qui cherchent à être justifiées,
Dans une autre-fidélité
Que celle où je la restitue,
En fantaisie brisant les chaînes
Des lois de la causalité,
Des lois de la tonalité.
Module et marche sur le fil
Du déséquilibre harmonieux
Qui te fait dépendre de moi,
Chanteur précaire, orgue fragile,
A qui supplée l’ange de Dieu. »
Julien WEINZAEPFLEN
Julien WEINZAEPFLEN
mardi 15 mars 2011
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