vendredi 27 janvier 2017

Le voyage, hymne à la gitanité

"Vive les voyages Qui font connaître les pays ! Vive les voyages, Escales de la vie !" Prends une voiture et installe-toi dedans. Cale-toi bien contre l'une des parois vitrées de l'habitacle. Encaissé dans cette cage florentine et fleurant bon le neuf ou déjà le tabac froid, tiens serré sur l'excitation du voyage ton désir de prendre de vitesse le chemin. Prends un chauffeur aussi : ton voyage n'aura de charme que si tu te sens roulé par la distance dans la paresse d'une certaine somnolence où tu débarques de toi-même, ton corps céleste quittant pour un petit voyage astral ton corps adossé dans la voiture qui, lui, ne fait rien que de se laisser aller. TU NE LIRAS PAS : La voiture n'est pas comme le train, La voiture démarrre au moyen d'une clé magique, qui donne à ton chauffeur le contrôle exorbitant de tonnes de tôle qu'il n'appartient qu'à lui de ne pas envoyer dans le décor ou de faire tonneler en bris de verre partant en fumée sous les vociférations ahuries d'une accélération raidie dans son exécution par le choc d'un carnage en règle. Toi, tout roulé que tu te et le laisses, tu n'en es pas moins son assistant : il prend le contrôle de toi-même, tu ne dois pas le laisser faire. Charge à toi de veiller à ce Qu'il ne s'endorme pas au volant pour que ta présence ne lui soit pas d'un morceau de bois qu'il doive, tel un poisson d'eau douce fermant ses mandibules sur sa proie tenue serrée comme le jouet d'un chien, transporter d'un côté du rivage à l'autre, sur des bords stagnants ; pour que, tandis qu'il vole, meurtrissant la vitesse autorisée de pointes qui passent la cinquième, et plus si le moteur tourne à vide, Il ne te sente pas tomber durement avec un bruit de crâne, même pas matelassé sur la terre des songes qui n'en mènent pas large. Prends une voiture et installe-toi à la remorque, contre l'une des parois de l'habitacle. Le chauffeur est devant toi. Tu n'occupes pas la place du mort. Tu occupes la place du client dans un taxi, et il s'en passe des choses dans un taxi, lorsque la porte de l'habitacle est fermée comme une chambre nuptiale... Taxi nuptial : c'est l'heure de l'intimité, où le rongeur et toi ambitionnez réciproquement de prendre le pouvoir l'un sur l'autre. Lui, le rongeur, le clignotant de son compteur monnayant ce que ton incursion dans son véhicule tout terrain, qui tient bien la route, lui rapportera quand tu seras arrivé à destination et parti du taxi, te donne la réplique avec indulgence tandis que toi, naïf, tu crois détenir la clé magique, grâce auquel trésor tu forces l'admiration du rongeur, et tu mérites qu'il te couronne le chef d'un respect de faillot à tes basques, le temps de l'escapade que tu te payes, sous l'aile de ses réflexes, entre ton domicile conjugal où le ménage n'est ni fait, ni à faire, et cet appartement coquet que tu prends déjà pour le tien et où t'attend, à guichets fermés, aguichée-maquillée de te voir rappliquer, et lasse par avance de ton envahissement d'échoué aux mains vides, une amourette qui sent la naphtaline des fins de liaison et n'ose plus exhaler devant toi l'odeur forte de son corps négligé. Tu crois avoir tout dit quand tu brandis ces quatre mots que tu empruntes à un dicton inventé par la sagesse populaire pour mettre à bon marché un diadème sur la tête de la princesse des Escaliers de la butte à "l'haleine de gosse mal nourrie", à qui on offre des boucles de mots de pacotille, camelote de beaux parleurs du Lapin, en lui rappelant que "le client est roi"... - - - Tu es roi et le rongeur est rat. - Il ronge ton pouvoir d'achat - quand toi, tu sors ta tête du sac, - le snobant de tes itinéraires, - lui disant quand il prend le boulevard Barbès au lieu de l'avenue Denfert-Rochereau - qu'il a trouvé sa licence de taxi dans une pochette surprise, - toi qui (celle qui t'attend pourrait en témoigner si elle te connaissait) - n'a jamais eu le sens de l'orientation. - - En attendant, tu payes, et la liasse que tu chiffonnes, - qui émet de temps à autre un petit froissement de papier-chiffon à l'aise dans une poche toute trouvée, - pousse ta crédulité, - avant de passer dans d'autres mains, - jusqu'à te convaincre, - d'une chiquenaude de parchemin froissé dans un débraillé de sac, - que tu es le bourgeois d'une heure - exquise que le rongeur - n'oubliera jamais, lui qui rogne, - à petits coups de canines, - tenues bien incisives - par une brosse à reluire - satirique aux soies bien acérées, - ta cervelle de moineau si peu de son humeur ! A moins que - - généreusement, il ne galège de concert avec toi, - que vous n'ayez tous les deux du bagou à revendre, - et que votre voyage se passe dans le bavardage, - tes valises dans le coffre - et tes autres liasses dans le coffre-fort - de ta Mie-sère et mis-Valises, - l'autre et toi - vous racontant des vies - qui, au fond, - comptent pour du beurre, - des vies mythomanes, - qui n'en ont pas autant vu - que vous dites - dans des voyages de circonstance, - - de vrais romans de gare que vos vies si l'on vous écoutait, qui valent leur pesant d'aventure, - dans lesquelles les petites amoures clandées d'hôtel un peu bordel - se mêlent aux "j'ai bien connu Un Tel" ou aux : - "Dans mon taxi, j'ai pris Gainsbourg, qui ne savait plus qu'il créchait rue de Verneuil, - et qui a vomi dans mon taxi, mais oui, Monsieur ! Et qui m’a filé un pascal en pour-boire", - - dans lesquelles vous avez toujours le rôle le plus fin : celui du sociologue observateur de la bêtise humaine ou du sauveur, - de l'enthousiaste par tempérament, - nonchalamment revenu de tout, - pour qui la vie n'est que - le théâtre des approximations caractérielles... - - Conversations de taxis, - où le voyage est résumé, rétracté en train de se faire - sous les klaxons désappointés d'ultramotorisés - qui ne vont pas le coeur léger, si léger ! - Mais le bouchon de leur colère saute dans le trafic qui n'avance pas, - où l'on se castagne en traitant de con celui qui ne peut pas entendre - , un voisin de bitume qui roule comme un cochon ; - où les castagnettes espagnoles ne sont qu'un long bouillonnement intérieure de mégots crachotés par un râle contenu, - le raz le bol rentré de ne faire ce trajet qu'au grand dam et dommage et chômage de notre vraie vie de notre vie réelle, de notre voyage intérieur, - de nos enfants que nous ne voyons pas grandir, - que nous n'aidons pas à faire leurs devoirs, - parce que nous avons le devoir de respecter nos habitudes, devoir impérieux d'enchaînés impénitents à la peur du lendemain, - - esclaves de tout, en premier lieu de ce lendemain influide à passer, - intarissable en besoins incommodes à financer - sans que l'on puisse seulement mettre le point d'interrogation du professeur Nimbus sur la providence, avec laquelle Celui Qui pourvoit à tout - remplirait nos porte-chiffons d'aise parcheminée - d'une langueur qui nous fait les poches - et nous approvisionnerait de Pascals, - si nous décidions de tout larguer - pour faire le Jacques - en jactant - comme un taxi - qui voyage toute la journée, - s'il nous prenait l'envie de nous casser pour de vrai, plantant là ventilateur et marmaille - pour réchauffer notre nuque - d'un petit séjour à l'étranger, - une courte pause, quelques jours histoire de boire, histoire de voir - si à l'étranger, - sous les feuilles de palmiers qui forment couronne sous nos têtes de sable, - l'air est aussi malsain qu'à Paris capitale, - sur ce macadam qui fait de nous des insectes de misanthropie - dont les songes n'en mènent pas large, - et si à l'étranger, - on n'aurait décidément pas envie de rester, - en emportant peut-être ses problèmes avec soi, - mais ailleurs, - loin de cette maison qui nous serait peut-être créditée - si nous pouvions finir de la payer, - enchaînés à la peur de ne pas y arriver, - qui nous ronge comme de la vermine, - comme du vulgaire mobilier urbain étalant sa déconvenue sous l'inconduite d'un trafic qui n'avance pas, - crachotant les mégots de ses pots d'échappement comme on se fait les cheveux, - les pieds collés sur l'accélérateur trop prompt à embrayer, à faire sortir la voiture de ses gongs, - à la faire larguer son mazout qui sera cause que les piques de pollution affréteront l'air de notre capital à stock- - options vers les narines d'un enfant pour sa crise - d'asthme... - - Qui tousse, tousse, l'enfant grippé de pollution, - tant ses végétations sont encombrées par les encombrements - de la ville enchaînée à la peur du lendemain, - vers laquelle fuit tout ce qui bouge et qui le ronge, - cet enfant des cimes - qui rêve du beau pays bleu... Prends un habitacle et prostre-toi à l'intérieur. Ton chauffeur n'est pas un rongeur : c'est un compagnon de voyage. Ne l'oublie pas assez pour qu'il s'assoupisse, mais remets-lui les clefs de ton destin. Sache en les lui remettant que, du même coup, ta confiance aveugle vient de lui offrir la conscience de freiner, de ne pas te mettre en danger, rassure-toi, de te protéger de la frénésie dans laquelle il a envie de faire le Jacques et se sait le maître d'un bolide se fichant pas mal des quatre voies, des barrières, des péages et des barrages filtrants, qui peut comme un rien foncer dans un panneau et se retourner sur des casse-vitesses technocratiquement mis à disposition par les voiries municipales pour augmenter le nombre des accidentés de la route au retour de boîtes de nuit, comme ces poteaux que les services de Monsieur le maire sèment tout au long des trottoirs pour empêcher que les bolides ne s'y fixent, ne s'y attachent comme pour s'accrocher à quelque chose dans la ville qui ne tient à rien, tandis que les aveugles, de leur pas hésitant et toujours se cognant contre quelqu'obstacle inopiné d'après leur opinion, manquent de se casser la figure contre les roues des voitures et que les landeaux timorés, poussés par des femmes engoncées d'un enfant qui pleure et fait un caprice sans qu'elles sachent ce qu'il veut, ni comment le calmer, se prennent les roues contre ces cylindres de fixité sans mordant, qui ne sont le talisman que de la chute des corps et qui ne signifie que ceci : qu'il n'y a de place pour personne, nulle part, dans la ville qui ne tient à rien ; que les corps sont faits pour la chute sur le macadam, pris en pitié par les bonnes dames qui passent sans les ramasser tandis que les véhicules, lorsqu'ils veulent s'attacher, ne peuvent se fixer, ni à ces barres fixes, ni au bord des trottoirs, ni en double file, ni sur les passages cloutés, ni nulle part, car partout ils gênent... Il faudrait qu'un ingénieur qui aurait du goudron à la place des idées et du plomb dans la cervelle inventât le moyen de faire fondre la tôle pendant que le tôlier de la caisse vaque à ses commissions, pour que cette tôle répande une odeur de goudron qui surcharge la ville avant de réapparaître, reformant miraculeusement voiture au retour du patron voulant ranger ses courses dans leur coffre-panier et remettre son pied sur l'accélodisjompteur, repris par le "va comme je te pousse" universel, réchauffé à rouler par réfraction sur sa colère naturelle du passage de la tôle de l'état de métal à l'état de goudron, menaçant d'autoboxer tous les lambineurs par un "ôte-toi de là, que j'm'y mette" encore moins ambiguë qu'un pet sonore émis juste avant que le feu passe au vert ou que France-info n'annonce je ne sais quelle contagieuse catastrophe mortuaire s'étant transmise à l'univers par la grâce des faits divers. La tôle ainsi disparaissant et revenant à sa pliure à la vue de son conducteur et maître désorienté qui se demanderait déjà si c'est bien là qu'il a garé sa chignole évapor-essente, répandrait dans l'air surchargé de la ville, comme nous l'avons dit, des bouffées malodorantes de goudron pas réveillé et ferait relayer ses disparitions et apparitions par fusion de tôle en goudron et solidification de goudron en poudre, un bruit de machine invisible pareil à celui d'un appareil radiologique prenant de vous quelques panoramiques en photomaton supérieur afin de les soumettre à quelque chirurgien pince-à-tout qui vous ausculte avant de seconder vos cicatrices, appelé par elles en renforts de votre diminution. La fusion de la tôle en goudron et la solidification du goudron en foudre véhiculaire préfigurerait pour vous, chauffeur, les voyages interstellaires, avec voyage de la terre au ciel dans la fusée en foudre et retour sur la terre. Vous, sorti de votre véhicule pour aller faire les courses, votre âme resterait dans la voiture et s'évaporerait dans le ciel des songes urbains qui n'en mènent pas large, où se tiennent ceux qui vous accompagnent dans les voyages silencieux ; mais vous, ramené de vos affaires, de vos démarches administratives, de vos supermarchés à caddys, de vos cimagrés avec huissier ou des farfouilles à ustensiles où vous aurez fait la foire, vous retrouverez votre âme qui redescendra sur terre. Et, après que vous aurez rangé dans votre coffre les acquisitions qu'aura faites votre consumérisme de collectionneur ou de collecteur pour TVA, vous vous évaporerez à votre tour comme votre voiture avant vous. Votre corps vous tiendra lieu d'âme au volant, se transformera en âme et, tandis que vous jetterez le premier regard sur votre tableau de bord que vous confondrez pendant un instant avec une play station, ce sont les puissances de votre corps transformé en âme que vous assimilerez à l'intelligence dans laquelle vous pensez pouvoir gérer trois vies au moins, qui conduiront votre véhicule comme indépendamment de vous, à ou à ne pas écraser le piéton qui ne devait pas traverser juste au moment où vous aviez décidé de passer. Car je tiens qu'il est miraculeux que, tandis que tout ultramotorisé, qui déjà ne va pas le coeur léger, maudit en crachotant ses mégots tout piéton qui veut passer en même temps que lui sur la même bande d'arrêt d'urgence, il n'écrase pas encore, en prétextant de l'état où est mis son coeur par ces intrusions incessantes, ce malotru débraillé comme un sac qui se dandine, à croire que la rue est son royaume, ma parole !, que la rue est à lui qui de toute évidence ne connaît pas ou se croit au-dessus du code de la route, lequel code devrait lui commander une fois pour toutes de laisser le champ libre à l'engeance roulante rongée de bitume au coeur et de souffles de moteurs explosés, et de bruits de machine qui fondent la tôle en goudron dans l'alchimie de la pollution, landes de poux comme un oeuf de limbe à l'air libre, et de l'étouffement qui lentement roule vers l'hôpital où lentement aussi, l'enfant se remet de sa crise d'asthme, et demande : "Dis Papa,est-ce que tu vas venir me voir ? Et pourquoi les voitures sont toutes à rouler comme des vaches"(ce sont des mots d'enfant...) "Des vaches qui n'ont même pas de clochettes et ne sentent pas fort comme la campagne où crissent les cigales en été dans les garrigues à chèvre, qui ne font pas "meueu", même si je ne sais pas moi si les vaches font "meu comme ils disent. Les tôles, ah la vache ! Elles me piquent mon air et me tournent mon lait de vapeurs qu'il n'est pas bon pour mes petits poumons et mon jabot d'enfant de respirer ou d'ingurgiter, tandis que toi, tu mets les gaz sur ton siège de cuire qui ne ressemble pas à une selle de cheval qui arrête les calèches pour pisser comme je pleure sur la crise qui me paralyse, pendant que s'épuisent les énergies pas si nouvelles que tu m'as dit qu'on appelait hydrocarbures, qu'on ne sait pas plus fabriquer aujourd'hui que Jaufré de Peyrac, le mari de la marquise des anges, n'avait en son temps romancé trouvé de génie pour lui donner de la moumie. Dis Papa, est-ce que je resterai longtemps dans cet hôpital à perdre la boussole parce que tes yeux ne me regardent pas et à ne respirer qu'entre deux crises en espérant qu'aucune ne me fasse haleter et ne m'arrête... ? Dans la vie dont j'ai peur que ma peur de la vie s'enchaîne, après que j'aurai grandi et que je serai un pur produit de l'échec scolaire, à la peur du lendemain dans lequel je n'ai peut-être pas d'avenir, je crains que mes affections pures étouffent du jour au lendemain, si ça continue à ne pas s'arrêter, dans les miasmes de mon asthme, et je ne pourrai jamais sortir du cercle, m'en sortir avec la femme que j'aimerai peut-être et la fidélité que je lui aurai promise, comme si je ne devais jamais sortir de la tentation, comme si je ne pouvais jamais, jamais, dans aucune unité de corps, d'esprit et d'épanchements, m'assurer que je serai bien, que j'irai bien et que tout ne se volatilisera pas autour de moi, tandis que, dans la grisaille de la crise qui me grise, je me demande si moi-même, je reviendrais à moi : dis Papa, est-ce que je ne suis pas en train de mourir pour la dernière fois ? De sortir du cercle enfin ? De m'échapper tout seul ? De sortir de cet étranglement de la chaîne dont je ne suis qu'un maillon qui ne communie à rien qu'à de l'air dépéché pour m'étrangler, à l'inverse de l'Agneau de Dieu qui, m'as-tu dit, est un Corps doux et tremblant dépéché sur mes péchés, monté au Calvaire avant Sa descente aux enfers. Mais cet air-là pénètre dans mes bronches, je le sens, pour mepunir. De quoi au juste ? Dis Papa : d'être ton fils ? A toi, mon Papa que j'aime et que j'ai beau attendre, qui ne vient pas ? De ne pas t'avoir assez souvent entendu me dire que tu m'aimais, comme si un surcroît de châtiment devait pénaliser une déjà souffrance ! D'avoir trop espéré que tu me dirais que tu avais envie de m’emmener en voyage ? Je te voyais déjà, mâchotant tes mégots, les pieds nerveusement appuyés sur ta pédale d'accélération quand tu aurais eu envie d'embrayer d'un mouvement fou d'imprudence par lequel tu aurais cogné toutes les autres tôles bombé de rage, si je n'avais pas été là, pour t'en empêcher par ma seule présence, et te défendre contre toi-même... Est-ce que je suis puni de ne pas t'avoir protégé contre ton envie de t'accidenter, parce que tu ne m'aurais pas mis en danger si je m'étais remis entre tes mains... En ce moment par exemple, c'est vrai que je ne te protège pas non plus, à vouloir que tu accélères pour être plus vite près de moi, mais merde ! Je ne sais pas de quoi je suis puni et ne veux pas le savoir. Une ambulance passe. Elle a priorité. Ce n'est pas demain la veille que tu seras près de moi, pour me regarder sortir de ma crise et te faire ces réflexions. Tu ne les apaiseras pas d'une pression de ta main. Tu ne leur diras pas : "Cessez votre délire : c'est moi ! Je suis là ! Voyez, je ne vous oublie pas. Je me suis arrêté, et je suis venu jusquà vous pour te voir, mon petit qui réfléchis. J'ai demandé le service et je suis entré dans ta chambre, le seul numéro du couloir qui comptait pour moi." Mais j'ai peur que, si je continue à te représenter tout ce que tu ne peux pas me dire, tu ne roules comme un fou, ou tu n'aies un accident ! Fais gaffe Papa ! Ta vitre est ouverte et je te vois : tu engueules la voiture qui est derrière l'ambulance parce qu'elle profite du chamboulement pour te doubler, qu'a provoqué le passage du cortège que fait l'ambulance au malade qu'on emmène pour arriver avant toi. Mais toi, tu n'as pas pu te faufiler dans le cortège. Tu vrombis d'anxiété de ne pas savoir comment je m'en sors. Tu bouillones de ne pas être avec moi, et moi, j'ai beau te voir ou croire que je te vois, je ne te sens pas, ou plutôt si : je te sens en danger. Je me sens en insécurité de toi dans cette chambre où les infirmières n'ont plus le temps de s'occuper de moi. Il est fini, le temps de la patience et de la passion des infirmières parce qu'on comptabilise le temps que je resterai dans cet hôpital, parce que la sécurité sociale n'a plus les moyens de me garder longtemps, parce que je suis dans une queue de malade le maillon d'une chaîne dans laquelle il y a tant de lits dont telles maladies correspondent au droit de les occuper pour tant de temps ; et si je ne suis plus assez malade pour faire valoir mon droit à occuper le lit d'où je sors de ma crise et si, en plus de ça, tu n'es pas là pour me chercher, il faudra qu'onme place et m'emmène de force. Où ça ? A l'orphelinat? A la DDASS ? Dans un foyer Sanacotra pour cas soces qui zonent ? Parce que j'ai un père indigne ou mort ?Par quels papiers administratifs pourras-tu prouver le contraire, et que tu n’es pas un parent démissionnaire(as-tu seulement sur toi ton certificat de dignité paternelle ?), que tu voulais te rendre à mon chevet, mais que tu ne pouvais pas parce que la voiture qui était juste derrière l'ambulance qui formait cortège au malade que l'on emmenait pour me remplacer dans ce lit t'est passée devant le nez au moment précis où il ne fallait pas qu'elle te double, pour que tu arrives plus vite près de moi, tout à côté de mon berceau d'enfant perdu sans ta main chaude que le code civil de l'urbanité impolie me confisque encore une fois... Mais je ne me plains pas. Il ne faut pas se plaindre. Les complaintes ne sont pas de circonstance quand tout roule, déboule sur le béton désolé : "Vive les voyages Qui font connaître les pays ! Vive les voyages, Escales de la vie !" n habitacle et fais-t'en un cocon de bien-être et de coton dans lequel, ta tête collée à la paroi derrière ton chauffeur entre les mains de qui tu ne te mets pas en danger, tu le sais, tu savoures par avance le voyage qui te mènera loin en lourdant la vraie distance du chemin qui, tu le verras, par la magie de la fée-Accélérateur, se fera sans que tu aies le temps de t'apercevoir que tu es allé si loin ! Et, remis entre les mains de celui qui ne veut pas te faire prendre de risques, carré au bord de ta paroi, adossé à ton impression de gagner la lune, incurvé légèrement vers ton ennui, courroucé un peu de ne pas pouvoir lire comme dans le train, agacé de devoir veiller quand-même et vigilant juste assez pour que celui à qui tu t'es confié ne s'endorme pas et ne se laisse pas alanguir par ton indolence à rien épargner de toi pour que le voyage se passe bien, pour être la vigie de ce gardien de toi qui met loin de toi ton cercueil, calé en un mot dans ta joie de voyager, au moment où vrombira pour la première fois le moteur, où ton chauffeur donnera le premier coup d'accélérateur avant la marche arrière en trompe-l'oeil pour le demi-tour qui te prépare un "en avant" colossal vers ce que tu crois être le merveilleux épique, voilà que soudain, la désillusion sonnera le glas de ton voyage : non que tu te figures par un pressentiment hostile à une conduite sereine qu'un accident qui guette au tournant viendra l'interrompre ainsi que le fil de votre vie à tous les deux, et plus si passager surnuméraire ; mais que tu te rends compte à ton corps défendant, à ton corps dépendant et même enfoncé dans la dépendance envers une machine qui ronfle tapageusement à l'extérieur en te protégeant des agressions sonores qu'elle fait à ceux qui sont au dehors, de même qu'elle pollue l'air du dehors en te protégeant de sentir les émanations de ses gaz que ton chauffeur active ridiculement, tu sens que tu ne te prépares pas à faire un de ces voyages qui forment la jeunesse, rêve d'évasion loin du tumulte et à grosse distance dont, même de ceux-là, les rentiers sont blasés, mais que tu vas tout simplement parcourir en vrombissant, en étant à peine arrivé que parti, une étendue d'asphalte arrangée pour que les suspensions de ton play mobil ne te fassent pas sursauter comme enHostine, ce quatre-quatre de nos chaussées cabossées, et que tu sois tout peinard, un peu glauque entre deux relais autoroutiers où tu pisse de l'acide accumulé dans ta queue rabougrie par la fatigue du voyage et l'état second d'une trop longue vie en auto, ta tête se vidant tandis que les arbres te filent entre les yeux et les paysages écrasés d'autoroute, perdus au fil du vent qui se refuse à ton voyage autrement que par claquements si désagréables contre tes inter-vitres que ton chauffeur, celui qui est à la place du mort ou plus, si râleur supplémentaire prévu dans les bagages humains, te supplient de fermer la fenêtre parce qu'y a trop de vent ! Et toi, résigné au soleil implacable, pour une fois que tu ne te rebelles pas, tu t'exécutes, taciturne, terré contre ta paroi, calé dans ton désarroi et prêt à tous les rebondissements pour hâter la fin de ce mauvais scénario ! "Vive les voyages Qui font connaître les pays ! Vive les voyages, Escales de la vie !" Tu dis stop. Je t'ai bien entendu : tu as dit stop. Il y a pourtant loin de la coupe aux lèvres, mais tu ne veux pas boire celle des désabusés. Tu viens d'ordonner à ton chauffeur de s'arrêter illico sur le gravier, de bloquer ce voyage inutile sur le point mort, parce que ce n'était pas à ce voyage-là que tu t'étais préparé, hein ? Ce n'étais pas cela que tu cherchais en voulant voyager. Toi, autant le dire tout de suite et tout de go, ce que tu recherchais, c'était le vent. Un gitan sédentarisé, mais n'en appartenant pas moins à la famille des gens du voyage, me disait un jour (je te raconte...) Qu'il avait beau se sentir chrétien avec des amulettes autour du cou et des croix dessinées au couteau sur son coeur tatoué, il n'arrivait pas plus à considérer Jésus comme plus qu'un homme qu'à se faire une idée précise de Dieu, sinon qu'il aimait à se répéter les paroles de sagesse sorties de la bouche de Jésus et contenues dans l'Evangile, grand livre des conclusions d'un homme arrivé au sommet de ce qu'un homme peut découvrir de l'homme, ou appeler Dieu "son petit Papa" quand ça n'allait pas trop bien dans sa caboche ou dans sa vie, que les conneries sur un coup de sang avaient pris trop de proportions dans le cours ordinaire de l'existence tranquille, ou que les petites misères s'attiraient entre elles dans l'impasse des problèmes, pareilles à des sirènes venant se faire payer le tribut de leur chant par ce rince-oreille embourbé dans tant d'inexorables dettes contractées auprès de harpies pour ne pas avoir su se les boucher à temps, ces oreilles ouvertes à trop de musiques, incapables pourtant, ces harpies-sirènes, musiciennes dangereuses comme des agents de la possession diabolique et cauchemardesques ambassadrices de l'enchaînement du lendemain comme la suite logique des tentations auxquelles on s'est laissé succomber la veille, d'empêcher que la vie du gitan ne trouve une issue dans l'insubversible Bonté de la Providence divine, tant, même s'il restait imperméable à l'idée d'un Dieu qui ne se coulât pas dans les normes et les mots d'ordre de l'autoritaire et tragique humanité, ce gitan ne pouvait se retenir de croire qu'un "papa" presque humain connaissait, devançait ses besoins et les comblait avant qu'il eût rien demandé pour lui, si ce n'est ce peu de compassion que l'on espère de celui devant qui on pousse à la sauvette un petit "ça va pas trop fort", quand les conneries de l'impasse des emmerdes en série vous appellent un car de flics pour se faire rembourser du shit. En fait, le gitan était trop habitué à voyager en vrai sur une ligne transversalement découpée au cutter dans la mape-monde pour entrer dans la complexité presque philosophique d'un rocher que l'on presse pour en tirer de l'être. Il était, ce gitan, dans la joie de la caravane promise, même arrimée à la France éternelle, même parquée pour toujours comme un bibelot de prestige n'étant plus destiné qu'à rappeler d'anciens services rendus au nomadisme chevaleresque. Certes, je le sais bien, les roulottes des gitans d'aujourd'hui sont des Mercedès mercenaires qui abritent des regards indiscrets et de la curiosité des brocanteurs à échoppe fixe ou des voyants à cabinets ouvrant sur kiosque téléphonique tout un bric-à-brac de trouvailles étranges à cinquante pour-cents : mille ébénisteries de bois dur comme fer, deux cents haches de "j'aime la vie, donc je peux donner la mort par amour", cent-trois secrets de médiumnité fantastique apprise de mages rencontrés en chemin dans les pays, outre quelques mystères pouvant se révéler utiles pendant les traversées des zones de pesanteur des conflits du malheur ou des rivalités. Mon gitan aimait la caravane promise, métaphore d'un ébranlement dépositaire. Même si lui-même ne voyageait plus ou n'avait jamais voyagé avant que ne se fixassent les souches de sa famille adoubée par le nomadisme aussi aristocratique que la courtoisie française et légitime que l'amour que l'on doit aux Bourbon ou à qui on voudra introniser chef de la maison deFrance, il savait que le soleil se lève toujours à l'Est. Ses ascendants l'avaient fait accoster à ce coin près de la mer. Il n'avait pas envie de découvrir l'Amérique, que l'art avec lequel elle avait transformé ses piastres en dollars ne lui décrivait pas comme une terre d'initiation ni d'asile. Il savait trop que les vies finissent par se jeter dans la mer à moins de trouver autre chose : Dieu peut-être, écumant dans les vomissements d'un monstre délégué par Neptune surgissant pour sonner l'heure de la colère devant les demi-noyés interdits de la mort. Mais, dans l'instant, il ne cherchait pas, le gitan, pourquoi il restait là : pour ne pas se noyer peut-être, même à demi ; pour ne pas avoir le haut le coeur que provoque l'eau salée venant tout à coup frapper en plein coeur du gosier ce qui est le plus à l'intersection de tous nos conduits dans la trompe d'Eustache et nous faire boire une tasse qui nous laisse absolument sans capacité, pas plus de respirer que de la rejeter là d'où elle vient : dans la mer saoule de sel marin. Il se reposait et regardait le sang couler de son attente morne, et répandre des flaques sur des charbons ardents. Il était comme un naufragé sur le pont, se récupérant sur une île déserte et désherbée, sur le point de non-retour d'un départ trop longtemps différé et sans doute ajourné aux calendes grecques, puisque gitan qui se pose longtemps ne va pas au bout de l'aventure. Ou, quand il y va, quand il s'y jette, c'est pour se perdre comme un voleur en enfonçant les portes cochères d'une hache bouchère et bûcherone, en regardant un animal mourir... En assistant, impuissant du regard, mais pas indigent du geste, à l'éclosion de la viande sous l'abattage d'une bête qu'il a anesthésiée de paroles rassurantes pour qu'elle ne souffre pas trop et dont les chairs purulentes l'incubent de façon animiste pour l'exhorter à ne se renoncer en rien, à devenir leur asile et leur ami, à rester homme pour prix de leur sacrifice domiciliaire en se conciliant les forces de la vie et de la mort pour que le cri sauvage du moment de la mort appris de cette intubation des chairs animales qui continuent d'éclore sous le couteau sanglant, continue de retentir en l'endurant à vivre pour prolonger en lui, autant qu'il est digne, cet espoir intraitable autant qu'insoluble dans lequel chacun refuse la dissolution de la vie avant que le gitan ne montre son courage et, quand le coq de la maladie aura chanté, quand l'épidémie de la sédentarité, cause de sénilité chez les gitans anémiés, aura fait de lui un légume, quand il ne pourra plus éprouver aucune grande douleur, quand, devant souffrir, il n'aura plus la ressource de gueuler son héroïque rage de vaincre la charognarde adversité, de couper, n'écoutant plus que le moment qui lui commande de s'appliquer la mort comme une compresse frontale, le cordon de l' unité factice entre ce corps hasardeusement attribué à son âme et cette âme qui se vautre dans lui et se glissera lui déchiqueté dans le cours d'une eau poissonneusement pleins d'amis qui ne boivent pas la tasse du sel dont la mer est en overdose, en ce cours d'eau de la paix de son âme où le gitan trouvera l'immanence d'un Dieu qu'il appelait "Papa". Mon gitan ne concevait certes pas le voyage comme ces Casanova en chaises à porteur ou autres bouffons de société baguenaudant au gré de leur bourse pour chercher fortune auprès de quelqu'hobereau sensible aux arts ou mécène en jupon. Ils allaient en diligence et leur plus haute jouissance était de croûtter en chemin dans des auberge où une hôtesse au hanches grasses les régalait d'une pintade servie sur une table dressée à regorger de victuailles, tandis que les verres ne désemplissaient pas, le goulot fournissant toujours du vin à ces buveurs de haut tonneau à qui, leur fît-on les honneurs d'une infâme piquette à faire des centenaires dans la localité, le vin n'était jamais en trop. "Ah que nos pères étaient heureux quand ils étaient à table... Hé, la suite, aubergiste et du vin, tavernière..." Au bout de quelques verres, quand ils étaient rincés de se trouver mieux que Platonov au vin triste, faisant chabrot avec leurs doigts, fêtant cette propreté d'un dé de vin, enhardis de voir leur appétit de chasseur récompensé par la gaillarde gourgandine au cul de bécasse et aux flancs d'oie qui les servait, ils sortaient mirlitons, clairons, trompettes et cordes à noeud pour jouer les troubadours et chanter des romances à cette Mariette qu'ils faisaient sauter de sa corde à leurs genoux. A moins que, plus portés à la querelles et à la triche, ils ne risquassent au brelan leur bourse mendigote de saltimbanques nourris au chapeau et leur réputation à coup sûr car, s'ils perdaient et n'avaient pas le sou de payer leur mise, pris la main dans le sac de leur pauvreté, la rumeur les en suivrait jusqu'à la prochaine auberge et chaque jour, ils iraient dorénavant comme des croquemitaines à l'affût d'un coup de chance jusqu'au lieu qu'ils auraient dès le partir élu pour but du voyage, au château de leur protecteur ignorant de toutes leurs malversations chez l'habitant, de leur réputation de menu fretin en haillons grimés sachant, la réputation, bonne mère, ogresse charitable, s'arrêter à bonne porte pour leur prêter main forte à ripailles et ne leur refuser le denier des manants que pour leur faire mieux goutter la tripaille des grands. Mon gitan n'avait point de but de voyage comme ces troupiers de joyeuse caravane savourant en parasites le repos du guerriers après tant de soldatesques algarades de l'aveugle Fortune. Mais il partageait avec cette claudicante roulotte cahotant au rythme intermittent des sabots chevalins le goût de la tripaille qu'il connaissait mieux que ces vérolés de la fringale et que jamais il ne se serait sans le voler laissé donner par un hôte pingre à une paresseuse volaille. Il aimait néanmoins la musique autant que cette volaille pique-assiettes aboutie chez son pingre, mais n'en vivait pas comme elle : il n'italianisait jamais la danse, mais la gonflait de hoqueteuse et virile énergie pour faire sauter les femmes ivres de rires, et aurait regardé comme déshonorant de profiter de naturellement bien faire son devoir de cavalier cavaleur pour rester à demeure de qui lui aurait prodigué ses faveurs à l'insu du mari payeur. Danser, boire et manger détournent le voyage de ne se pratiquer qu'en imagination. Tel est le pèlerin immobile, qu'il est tellement dans la contemplation peu nuageuse de l'eau qui jaillit du rocher jusqu'à l'auge de son coeur dur, que peu lui chaut par quel chemin carrossable ou bosselé la caravane passe, parmi qui, joint à elle par la coutume de périgriner de ses galoches, il sera mené de terre trop connue en découverteagacée. Ni mon gitan, ni mon homme de diligences et des relais de poste n'avaient l'austérité de ces caravanes de pèlerins du devoir agricole auquel appartient à contre-coeurm on marcheur intérieur, caravanes dont les femmes portées sur les ânesses, comme Marie allant visiter sa cousine Elizabeth ou perdre Son Enfant au Temple de Jérusalem, attendaient l'heureux temps de la halte tandis que les hommes, harassés d'avoir l'oeil à tout et de suffire à l'intendance, les soutenaient mal, mis en fatigue par leur hâte de rentrer sous le torchis de leur chaumière, les ânes rangés dans les étables pleines de son et leurs pieds calés sous des tables de belle écorce dont ils béniraient patriarcalement le pain qu'aurait préparé la femme, rendue à son fournil et au trousseau qu'elle repriserait, retrouvant pour l'assurer avec l'habileté de l'habitude l'intendance domestique que se réjouit de déléguer à sa femme le mari maladroit, qui se verse pour fêter combien il est heureux de rentrer et comblé au logis, un peu du fruit de Noé dont sa femme est l'allégorie, vigne généreuse sous le corsage de qui il peut recueillir des raisins juteux plombés de lait que tétera leur fruit, l'enfant, après que l'homme en aura pris sa part pour se récompenser d'avoir semé et bien porter sur les hanches sa vigne, et d'encourager sa portée par les anges à surmonter sa lassitude (il a peu de mémoire...) prête à se poser là, laissant la caravane continuer sans elle et l'ânesse pleurer la laisse de sa maîtresse qui aurait préféré s'effondrer, maugréant contre sa condition vaillante et populaire, qui l'obligeait à remplir les troncs des changeurs du Temple de Jérusalem. Lassitude était ce voyage de pauvres à ampoules aux pieds qui se rendaient sur la Terre Promise et qui, tels Moïse s'y voyant toucher, s'écroulait d'une ultime faiblesse, la tête cassée par tant de noises cherchées par un peuple à la tête dure et la nuque raide, jamais content de la manne, ni de l'eau tirée du rocher, ni du jeûne, ni de l'Arche d'Alliance, ni des tables de la loi, ni d'avoir un chef à la férule de qui s'en remettre pour les soucis du trajet, ni d'être affranchis et revenus à la sveltesse de ceux à qui on ne peut rien prendre qu'ils ne vous l'aient donné, ni de rien. L'épopée fige le voyage et l'escale, grand Dieu, qu'est-ce que c'est que l'escale ? Mademoiselle Alice, vielle fille, petite souris grise d'un mètre cinquante qui appris "dame souris trotte" aux petits bambins que nous étions, mourut d'une jaunisse à cinquante-deux ans après nous avoir aussi appris cette contine dont il me reste ce refrain : "Vive les voyages Qui font connaître les pays ! Vive les voyages, Escales de la vie "! Déjà, je chantais la deuxième voix, mais qu'est-ce que l'escale de la vie, Grand Dieu? Est-ce une station, comme on s'arrête sur un chemin de Croix pour regarder Jésus tomber en méditant sur une chute dont nous ne l'aidons pas à se relever ? Comme s'il était décidé qu'il devait choir pour nous relever et que la reconnaissance que nous lui en aurions, ce serait de le regarder sans rien faire, en pleurant dans le vide, sans essuyer de nos cheveux mouillés de larmes Ses pieds dont les ampoules suintent et s'agrandissent à chaque pas ? Est-ce un point d'arrêt qu'une escale ? Est-ce une escale de toute la vie battant retraite pour une durée indéterminée dans un ermitage thalassothérapeutique avec remise en cause ? Quand mon gitan me confessa qu'il ne savait ce qu'entendre par Dieu en dehors d'une paternité presque moins autoritaire que l'humaine, à la prévoyance de qui il fait bon s'abandonner quand tout nousabandonne, je me crus envahi d'une géniale idée pédagogique et prosélite, autant qu'investi d'une mission évangélisatrice en, sans me souvenir de Moïse qui est allé frapper le rocher, me disant que moi, d'un point de vue philosophique, je comprenais Dieu comme ce "Je Suis" exprimant dans cette identification à tout l'être la plénitude de Sa Divinité, contrairement à ce que prétendait mon gitan qui, se livrant à une exégèse des Paroles de Jésus lorsqu'Il affirme et certifie : "En vérité, Je vous le dis", soutenait que cette manière pour Jésus de s'extraire de la gangue des paroles repassées par la rumeur avait pour but pour l'homme Jésus, arrivé à maturité de l'humanité, de se mettre à part de tous pour dire l'universellement vrai, et à part de ses disciples eux-mêmes, ne serait-ce que pour leur éviter d'endosser trop tôt l'Evangile et d'encourir ce que la nouveauté de ces paroles ne manquerait pas d'attirer sur le Rabbis. Le gitan affirma en outre que cette insistance sur ce "Je" mis à part, qui soustrayait Sa Parole à tout ego placé au confluent des idées reçues, traçait un segment entre la parole qu'Il prononçait dans cette solennité d'heure enseignante où le "Je" perdait de l'importance en jouant à en acquérir et la Vérité qui n'était pas directement rattachée au "je" de Jésus en train de la dire, ni à son Nom d'homme : "Dieu Sauve", ni à une quelconque onction divine, mais au bout de Laquelle Vérité Il était parvenu, à maturité d'humanité, ce Jésus, mis au monde à la suite d'un égarement de sa maman et qu'un veuf avait adopté, mis au monde, au milieu d'une famille complétée par Jacques et José qui n'étaient point les fils de Marie-Salomée, soeur de marie toujours vierge, mais dont il n'importait pas qu'elle le fût restée, mis au monde, ce Jésus adopté qui avait surmonté Son adoption comme pour mieux préparer la nôtre par le Père Eternel en allant au plus juste, au plus criant de ce que l'homme pourrait découvrir et en disant ce plus criant assegmenté à la Vérité ; mis au monde, mais déségoïsé, détaché de la Vérité, ni Messie, ni prophète, mais simple quêteur d'une vérité sise au fond d'une sagesse ouverte à l'homme : ni prophète pour que nous ne croyions pas que nous puissions l'être et que nos prémonitions fassent mieux que nous informer, ou nos extases plus que nous exalter ; ni Messie pour que nous n'attendions pas d'être libérés en ce monde où nous ne devons chercher, même morts, Dieu que dans les cours d'eau de son Immanence ; ni Messie surtout pour que nous n'étendions pas notre désir de nous subjuguer comme si nous pouvions être autant de Messie porte-miracles et liberté que nous sommes d'hommes sur la terre ; mais non Messie, ce jésus, dont peu importait que son nom d'homme répondît à notre besoin d'un Rédempteur et que Son Nom divin de Christ - Que mon gitan niait d'ailleurs - en manifestât et garantît l'onction venue d'en Haut ; non messie, ce jésus dans le regard de mon gitan, parce qu'il ne fallait pas que l'homme passât sa condition de voyageur et se mêlât d'apprivoiser la divinité pour l'enclore dans des catégories fallacieuses de chercheur n'ayant presque rien trouvé que des secrets d'alcôve à propos de divinations faciles à déchiffrer ; non Messie, ce Jésus, pour nous exhorter, nous autres, à ne chercher que la plus grande profondeur que nous puissions atteindre dans la sagesse ouverte à l'homme et peut-être, à loisir, inhalée dans les cours d'eau où je pédale, accélère et donne du gaz pour tout corrompre sans avoir rien humé ; pour qu'au bout de ma prière, je ne fasse point descendre comme au bout d'un hameçon Dieu attrapé du ciel pour Le coucher en mon coeur : telle prétention ai-je comme tous les croyant-prier que, quand je fais effort pour bien parler à Dieu, je crois l'attirer à moi plutôt qu'Il ne m'attire à Lui Qui m'embarque pour le grand voyage, non dans la caravane éplorée des compagnons et pèlerins du devoir, non même dans les nues, mais de la terre au ciel qui n'est pas de la tôle au goudron. Point ne me seyait à moi que Dieu fût détaché de la Vérité, lui fût-Il associé par un segment : cherchais-je à ce point à me relier à mon imagination ? J'en laisse juge qui veut savoir s'il croit. Point ne me souvenais-je de Moïse frappant le rocher pour en tirer de l'eau afin d'en désaltérer le peuple maugréant de soif à en préférer sa terre de servitude et sa livrée d'esclave. Point ne me suffisait que mon acolyte fût croyant : je m'étais avisé d'une idée pédagogique que je trouvais géniale, et j'avais gardé sous la langue le philtre de ceux qui pourchassent l'hérésie avec un coeur aimant. Point ne me venait qu'à défaut de nous représenter Dieu de la même manière, dès lors que nous avions une communauté de prière, dès lors que tous les deux, nous étions capables d'appeler Dieu Abba Père avec une insouciance qui L'aurait armé contre nous s'Il avait été plus jaloux de Sa Puissance, mais qui le désarmait parce qu'il ne l'était pas, le reste souffrait que nous ne fussions pas du même avis et que l'un de nous voyageât comme un intendant qui fait subsister sa caravane humaine, tandis que l'autre, prêchant qu'une mystique trop subordonnée à l'action côtoie de trop près l'inhumain, voyage en philosophe qui se laisse porter par le vent et parfois, à n'en pas douter, aussi amollir, à ne pas lutter contre le sens du vent, à ne pas trancher. Point ne me venait, parce que je voulais dire... Et je dis que, non seulement "en vérité, en vérité, Je vous le dis" signifiait à la fois que la plénitude de la divinité en Jésus était d'être et que l'Etre est, de par l'éternité de la Volonté et de l'Essence divine, assermenté à la Vérité, mais que, pour se représenter Dieu, il fallait - et pourtant, je ne me souvenais pas de Moïse : je me croyais tout simplement pédagogue -, il fallait s'imaginer en train de penser et se représenter alors tout ce qui se cache de fluidité liquide et contenu sous ce que nous croyons que nous sommes en train de penser et que, pour faire jaillir cette source d'eau fluide plus douce que notre pensée rêche, il fallait frapper cette solidité calcaire, cette zone de guerre qu'est notre âme, dure terre, cette carapace de notre esprit pensant. Il fallait la frapper, la frapper jusqu'à ce que jaillisse cette eau tirée du rocher de notre pensée apparente, et cette eau fluide qui s'échappait était l'Etre, et cet Etre était ni plus, ni moins que Dieu, ce Plus des Plus sortant de la prisons dans laquelle nous L'avions encastrée, que nous avions confectionnée pour Lui d'une pensée rebutante de dureté pour L'enjôler et Le cajôler, Le garder plus amoureusement à nous, assez bien pour qu'il ne puisse plus nous emmener faire le voyage de la terre de nos corps qui empilent au ciel de nos songes qui ne sont point songes d'attirail tassés contre une paroi de tôle séchée, derrière un chauffeur brisé que notre présence fait bâiller, qu'elle fait transpirer à grosses gouttes, qu'elle inquiète et ne stimule plus assez pour lui éviter le sommeil réparateur annonciateur de carambolages, carambolages dont les feux d'explosion concourent à favoriser la crise d'asthme de l'enfant de l'hôpital qui gémit et qui, après avoir appelé en vain à l'aide et supplié que la main de son papa essuie son front encore affolé de sueur dégoulinante, se fait comme Smerdiakov des réflexions de sortie de crise, d'entre deux crises, d'entre deux folies, d'entre deux coups de vin, d'entre deux coups de vent... J'avais attelé mon voyage à mon imagination, ma caravane à mon lit où, couché sur le côté droit, je rêvais comme quand j'étais petit à je ne sais quel château merveilleux que je posséderais je ne sais où, je rêvais comme un artiste qui aurait fait son deuil de l'action, comme un intendant qui se moquerait de mal soutenir les femmes, du moment que, s'il n'était pas sûr qu'à chaque femme, son âme, au moins, à chaque femme, son âne... Comme un voyageur trop facilement convaincu que le plus grand voyage est intérieur, trop plein d'une intériorité qui le laisse médusé, trop ravagé du désir d'aller vers Dieu pour se souvenir qu'il est un homme. "Etre homme, mon Dieu, n'est-ce pas exempt de dignité ?" demande le philosophe en pleine asthénie de ses facultés énergétiques : qu'est-ce que l'escale de la vie? N'est-ce qu'une prise de distance vis-à-vis de la vie urbaine dans laquelle un enfant asthmatique appelle ? est-ce une escale imposée à la vie profuse, obligée de traîner son convoi de brancards dans une cantine désaffectée, le temps de rouvrir les vraies vannes de la source de sa pensée dont l'enfant n'est plus renseigné par ses alvéoles pulmonaires, si c'est bien cette source que capte la robinetterie avec laquelle il tire de l’eau dordinaire pour remplir son bidet : peut-être, les tuyaux de cette robinetterie débouchent-ils dans le tout à l'égout, sur des vers de terre qui grossissent dans son esprit, ou des vers solitaires qui se nourrissent de ses olfactions. Oui, se baigner, se baigner dans la source pure pour ne plus jamais, jamais Etre interrompu par les terribles crises et guéri, comme un miraculé, louer Dieu pour ne pas faire comme le méchant lépreux que n'étouffe pas la reconnaissance. Est-ce un chantage ? Sarment greffé sur la vigne, rattaché à l'Ego Divin en symbiose absolue avec la Vérité et indistinct d'elle, attaché tout à fait comme il faut en plus, comment se fait-il qu'il se sente, l'enfant, l'enfant asthmatique qui va à la messe tous les dimanches et moi avec lui qui l'écoute, comme un infirmier qui aurait le temps, qu'il se sente sans liberté d'agir ou de voyager léger, voué à une mystique obligeant la vie grouillante à faire escale sans faire elle-même escale dans la vie des caravanes, ne convertissant pas la vie grouillante en vie des caravanes, ne transformant pas cette terreur dans laquelle l'enfant se sent enchaîné à la peur du lendemain en une intendance dans laquelle il se sente responsable de la lassitude des femmes abattues sur leurs ânesse. Comment se fait-il ? Qu'est-ce que voyager ? Il ne faut pas forcément conclure par la fascination de l'autre, le géant, le gitan géant, "le gitan, le gitan que tu ne connais pas... Que je connais pour toi..." qui a toujours raison, comme si on ne pouvait qu'avoir raison contre moi, contre moi qui veux toujours avoir raison ("der Führer hat immer Recht" disait de moi ma grand-mère : Hitler a toujours raison...), contre moi, être désenchanté dont l'imagination n'est qu'un refuge aboulique, une fiole désemparée, emplie d'un vent en pure perte et pour ma perte enfermé dans cette fiole par un Eole ayant pourtant prévenu Ulysse que, s'il l'ouvrait à contre-vent, elle le dérouterait dans une aliénation dont on ne revient pas. Ma fiole est le flottement de mon cerveau dans ses choix, dont j'entends la matière grise faire "platch platch", de mon cerveau qui sonne l'eau et lourd comme il y a des grandes gueules qui sonnes creux. Qui sonne l'eau et lourd et que l'intendance renvoie, car il n'est pas doué, et ne renvoie qu'à l'organisation du lendemain lancinant, que je repousse, le lendemain et son organisation même, puisqu'"à chaque jour suffit sa peine", que j'annule, le lendemain parce que je n'ai pas la force... Si vous le dites, que je ne sais me rassurer que dans la mémoire de la morale d'une fable déjà bien trop longue et trop somnolente dans un taxi qui me réveille et qui doit en avoir profiter pour être passé par les boulevards extérieurs, voici : je compose ma chute et résume ma leçon inaugurale au collègedu catéchisme recraché : il serait bon, il serait sain que mon voyage apprît sa trinité analogique à celle de Dieu, dans laquelle il cherche à trouver sens à tout : il faudrait qu'il prît sa direction dans la fiole de mon imagination, qu'il se fît caravanier d'experte intendance et se moquât du chemin en le prenant de vitesse, comme l'Esprit est un vent violent qui ouvre subrepticement toutes les portes verrouillées de nos coeurs ; comme c'est sous la conduite du Fils, Qui va peut-être un peu trop vite pour nos petits pas, que la caravane-Eglise est guidée par son intendant-Caput Qui n'a de chemin que la fiole céleste et la Volonté de Son Père à laquelle ce n'est pas son adolescence attardée qui se soumet, mais Sa confiance, confiance fondée parce que sûre de ne pouvoir être jamais trahie. Et qu'Il nous propose d'imiter, car c'est si reposant de bâtir sur de l'intrahissable...

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